Messengers Style

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Bippers et lunettes aérodynamiques

Alors que la mode a tour à tour pillé toutes les décennies du 20ème siècle pour les digérer, les re-mixer et les ré-interpréter, le curseur semble aujourd’hui s’être arrêté sur les années 90 : les pages de magazines voient se côtoyer sportswear italien à logo, sacs banane en bandoulière et minimalisme sobre à la Margiela.
Alors pour être sûr de conserver une longueur d’avance sur Anna Wintour et sa bande, attaquons-nous dès maintenant au début des années 2000 en scrutant ce bel ouvrage édité au tournant du siècle, époque bénie où il était de bon ton de porter les cheveux fluos et en pics, et où un piercing à l’arcade était considéré comme une ultime coquetterie.
Messengers Style propose une incursion photographique dans le monde des coursiers new-yorkais de l’époque, soit une éternité avant que cette sous-culture ne deviennent une tendance globale et que les pignons fixes n’envahissent les villes du monde entier.

Ce livre nous permet donc d’apprécier les looks de quelques coursiers de l’époque, mixant avec panache influences rock, streetwear, culture cycliste, technicité et utilitarisme.
C’est peut-être de ce genre de fabuleux mix-and-match dont devraient prendre comme inspiration les marques visant le marché du commuting (Levi’s Commuter ou Rapha par exemple) qui peinent à nous faire entrer dans leurs pièces qui n’ont ni l’efficacité technique des vêtements dédiés au cyclisme ni le style ou la démarche inspirante des marques que l’on apprécie.
Direction le site du photographe pour apprécier d’autres clichés.

Messengers Style
Photos par Philippe Bialobos
Intro par Valerie Steele
Assouline

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La Stòffa

Le tricotage d’une cravate en soie

Une recherche syntaxique sur les noms de marques pour homme pourrait nous en dire long sur les tendances d’une époque et ses influences. Si dans le passé il a été tour à tour bien vu de s’inventer un nom français, italien, américain, anglais ou même écossais, il semble qu’aujourd’hui il soit à nouveau de rigueur de s’imaginer une histoire italienne. Après O. Ballou, traité ici il y a quelques semaines, voici une seconde marque anglo-saxonne se revendiquant de savoir-faire transalpins. Le développement d’une collection part généralement de la vision d’un créatif, les chefs de produits et façonniers faisant ensuite de leur mieux pour atteindre un résultat s’approchant au maximum de cette vision.
Stòffa prend le problème à l’envers : la jeune marque new-yorkaise prend ses fournisseurs – tous italiens – comme base pour la construction d’un assortiment de produit. Le fondateur de la marque – Agyesh Madan – se présente comme un chef de produit et non comme un styliste. Mais si Agyesh Madan est un chef de produit, c’est un chef de produit avec une vision forte et une bonne dose de bon goût. C’est en effet un de ces jeunes loups qui posent en chapeau mou à Pitti Uomo et, contrairement à certains, il peut se le permettre : après avoir été diplômé de Parsons et avant de monter Stòffa, ce jeune homme s’occupait de la direction du développement produit chez Isaia.
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Quoi de neuf PE13?


Ben Sherman – Inspiration Barbour Bedale?

Les salons de mode masculine ont commencé à envahir la planète depuis la semaine dernière. Avec Londres et sa London Collections: Men, puis au tour de Milan avec le Pitti Uomo (nous y avons envoyé un Robin, tout spécialement), et enfin, Paris, avec le Tranoï, Rendez-Vous Homme, MAN et Capsule avant de retourner à Londres, puis Berlin, New York et j’en passe.

Depuis les quelques saisons où Capsule a fait son apparition, nous avons pu observer un certain effet « Capsule ». Des marques auparavant confidentielles se sont tout d’un coup vu apparaître dans un ribambelle de boutiques, comme par magie, et au final, après avoir fait le tour du salon, on pouvait déjà se faire une bonne idée de ce que les trois quart des boutiques « pointues » de l’hexagone et des autres territoires visités par le concept allaient proposer. Belle aubaine pour les marques, moins intéressant pour les personnes avares de nouveautés. Ainsi on a pu voir fleurir des bracelets d’inspiration escalade aux fermetures à ancre chromée, affichant des prix exhorbitants ainsi que des casquettes Norse Project sur la tête d’un bon paquet de barbus, bonjour l’originalité.

Peregrine – Inspiration Belstaff Trialmaster?

Le fait est que ce salon, comme sa version anglaise, Jacket Required, a donné naissance à un nombre impressionnant de marques qui ont un peu du mal à se différencier les une des autres. Cro’Jack, Percival, le renouveau de Ben Sherman, JJ.Mercer, Private White V.C, Suit, Peregrine ou Wolsey, toutes ces nouvelles marques qui s’appuient sur une histoire ancienne (que chacun d’entre nous aurait pu inventer) n’ont pas grand chose de nouveau à proposer, que l’on ne puisse trouver autre part.

Loin de moi l’idée de dire qu’il n’y a rien de bon dans ces salons, mais il serait temps pour certains labels de chercher à innover et à se démarquer plutôt que de s’engouffrer dans une niche qui n’en est plus une. Les nouvelles marques présentes au premier épisode Londonien dont nous vous parlerons très bientôt montrent bien qu’il y a de la place pour du progrès. Avec les review de Milan et Paris qui arrivent à grand pas, nous espérons bien découvrir quelques nouvelles surprises.

Private White V.C – Barbour international?

Percival – Mackintosh pseudo original?

Saturday's Surf NYC – Tokyo


Ça donne envie non? photo trouvée sur saturdaysnyc.com

Le magasin de vêtements New-Yorkais Saturday’s Surf a fait couler pas mal d’encre depuis son ouverture, il n’y a d’ailleurs pas si longtemps que ça, en août 2009.

Le concept du magasin est le suivant: promouvoir un art de vivre issu du surf en pleine ville en s’inspirant du style des années 50 et 60 et en servant du café. Cela peut sembler un peu réducteur dit comme ça, mais le principe est là.

A en lire l’interview qu’ils ont donné à Day Dream aux éditions Doubt Everything (magazine japonais écrit en anglais, ça ne court pas les rues), les trois acolytes qui sont à l’origine du projet Josh Rosen, Morgan Collet et Colin Tunstall ont tout simplement cherché à réunir leurs passions : le surf, l’art et les vêtements. Quant au nom, « Saturday’s » a été choisi car le samedi est selon eux le meilleur jour de la semaine car on peut se lever tard et se coucher tard. Le fait d’avoir un magasin doit tout de même compliquer un peu les choses.

Suite au succès que le point de vente a rencontré, le trio a lancé sa propre marque, facilement reconnaissable par le S barré du logo. On peut retrouver certaines pièces de leur collection dans de très bonnes boutiques à travers le globe. Dans cette logique d’expansion, Saturday’s a ouvert un premier magasin en dehors de son pays natal à Tokyo en mars dernier. On y retrouve tout le cahier des charges du surf shop New-Yorkais: combinaisons et planches de surf, produits de la marque en propre et une sélection d’autres produits, un bar à café et la terrasse à l’arrière du magasin où l’on peut déguster ce dernier et lézarder au soleil quand le temps le permet.

Comme on pouvait s’y attendre venant du Japon, la boutique est superbe et on s’y attarde volontiers. Le prix des quelques planches que j’ai pu lorgner du coin de l’oeil est plus que prohibitif cela dit mais elles sont très jolies à regarder. On se console en se disant que l’on n’aurait pas pu les emporter dans l’avion et que de toutes façons un magasin fera sûrement bientôt son apparition près de chez nous. Toujours selon le même interview citée plus haut, Josh, Morgan et Colin comptent en effet étendre leur concept à Paris et Londres. Pas sûr qu’il y ait autant de surfeurs qu’à New York ou Tokyo (apparemment ils seraient beaucoup) dans ces deux villes européennes, on ira y goûter le café avec plaisir en tout cas.


Levi's Meatpacking district – New York


Ouvert depuis maintenant plus d’un an, le magasin Levi’s du Meatpacking district est un des seuls endroits sur la planète où vous pourrez trouver toutes les lignes et collaborations Levi’s. En plus de stocker les lignes LVC (Levi’s Vintage Collection), Made & Crafted, Red Tab, et les diverses collaborations comme celle très réussi avec Filson, le magasin propose également une sélection de vêtement vintages et un service de retouches, personnalisations et de tailleur. Donc si vous ne trouvez pas le jean de vos rêves, vous avez la possibilité d’en faire tailler un sur-mesure avec tous les détails qui font de Levi’s la marque de référence du denim.

Le magasin représente très bien l’ambiance du Meatpacking: briques, bois, néons et métaux bruts rappels les murs d’une usine, et le merchandising présent, tel que les cordes, les bobines de fils indigo ainsi que les diverses couvertures et drapeaux aux murs donne un peu l’impression d’être dans un trading post américain.

La sélection de produits, le service et la décoration raviront n’importe quel fan de la marque. Le seul bémol à mon avis est la sélection vintage. Bien que cette dernière ajoute sans hésitation un plus à l’ambiance du magasin, les prix pratiqués sont un peu excessifs. L’exemple qui m’a le plus marqué concerne un caban de la marine américaine, en parfait état cela dit, mais datant plutôt de la fin de la guerre avec un prix affiché à plus de 500$ alors que l’on peut en trouver sans trop de mal dans les environs de 100£ en Angleterre. Même avec le taux de change actuel, la différence fait mal.

Le magasin est relativement petit étant donné toutes les différentes références qui y sont présentes (il fait tout de même un peu plus de 1370 mètres carrés), si votre taille n’est pas disponible vous pouvez vous la faire livrer chez vous en commandant directement en magasin. En bref, un magasin complet qui contient tout l’ADN de la marque et en fait une adresse à voir absolument si vous passez par New York.


Leffot – La bonne pointure


De passage à New York, j’en ai profité pour passer par la fameuse boutique Leffot dans le quartier du West Village. Ayant une certaine passion pour les chaussures, surement proche de la maladie, autant dire que j’ai apprécié les lieux. La boutique est relativement petite, du moins plus petite que je l’imaginais. Le magasin s’organise autour d’une grande salle avec une très belle sélection de chaussures alignées sur une table située au milieu. Vous pourrez aussi trouver des chaussures au sol, sur les fenêtres, un peu partout en somme.

La sélection est loin d’être chauviniste. On retrouve bien sur un certain nombre de classiques américains tels que Danner, Quoddy, Viberg, Wolverine et Alden, dont certains modèles sont disponibles en exclusivité dans la boutique, mais aussi des anglais avec Alfred Sargent, Edward Green ou encore Church’s (même si la marque appartient à Prada), sans oublier la France avec des marques comme Corthay ou Aubercy. Le magasin ne s’arrête cependant pas aux chaussures et propose aussi des accessoires pour s’en occuper comme des chausse-pieds en corne et des brosses ainsi que d’autres accessoires en cuir tel que des bracelets de montre en cordovan, des porte billets, ceintures et sacs de voyages. Du côté de la toile, on trouvera des chaussettes, écharpes et chapeaux de belles marques comme Pantherella et Borsalino.

Le choix est donc large et divers afin de répondre aux besoins de tous. Avec un slogan comme « Numquam Jactate » ayant pour signification voulue « Ne Jamais Se Vanter », le magasin prone la simplicité et la qualité avant tout, voulant ses modèles versatiles et discrets. Certaines qualités que l’on a un peu de mal à trouver chez les marques françaises proposées. Cependant, il en faut pour tous les goûts, et si vous ne trouvez rien du votre, la boutique propose aussi le sur-mesure. Une sacrée pointure.

10 Christopher Street
New York, NY 10014
(212) 989-4577
leffot.com

Nikolai Rose – Quatre ans après

Jacob & Alan, les deux fondateurs de Nikolai Rose sur le blog d’Opening Ceremony.

Retomber sur ses devoirs de primaire, c’est toujours assez marrant. On rigole de ses propres fautes, on s’amuse de la forme de ses lettres, de la ponctuation mal utilisée et des petits dessins abandonnés sur le coin d’une correction de dictée. Ça m’a fait un peu le même effet quand j’ai croisé Jacob Melinger du label New-Yorkais Nikolai Rose au hasard d’une boutique il y a peu. Après qu’il m’ai dit connaitre redingote et parlé de son label, je me suis souvenu: le label était le sujet d’un des premiers « post » de ce cher blog, que vous n’êtes vraiment (vraiment) pas obligé d’aller voir. Je l’ai relu pour l’occasion et force est de constater que redingote a bien évolué depuis, le texte et son intérêt étant assez pauvre à l’époque. Bon il reste aujourd’hui encore beaucoup de travail, mais tout de même.

Chez Nikolai Rose c’est la même chose, Alan Paukman et Jacob Melinger ont aussi pas mal roulé leur bosse de leur côté. Les lignes se sont étoffées, ont gagné en maturité et le résultat est vraiment bon. À côté du commerce et de la réalisation de leurs produits ils travaillent également comme consultants en design ou même en tant que freelance pour quelques clients triés sur le volet.


Cravate Nikolai Rose en laine japonaise.

Leurs cravates sont maintenant réalisées dans des matières très belles, assez recherchées et peu utilisées par d’autres jeunes marques. Sur la photo du premier article (celui de 2008) on a l’aperçu d’un imprimé un peu douteux, porté par un jeune homme au regard hagard et à la chemise froissée. Ici avec leurs modèles en laine japonaise on touche tout de même quelque chose de très raffiné, très efficace visuellement. Les couleurs sont superbes et la texture que donne la laine est vraiment intéressante. Notez qu’en terme de photos ils ont opté pour la neutralité d’un fond gris collant parfaitement à l’ambiance de leur site, ce qui fait tout de suite beaucoup mieux que de faire appel à l’un de ses amis peu matinal.

Une belle pince à cravate en argent massif.

Bien que le fait de porter des bijoux reste assez difficile pour moi, je ne dirais pas non à leurs boutons de manchettes, leurs pins ou leurs pinces à cravates. On a vraiment la sensation d’objets très travaillés qui gardent pourtant un aspect très brut, parfait dans cette tendance de rugosité propre sur elle où on aime autant les tatouages que les bougies parfumées.

Pour couronner le tout, les pièces sont faites à New York et il ne serait pas étonnant que les deux fondateurs du label fabriquent eux même respectivement les cravates et noeuds papillons d’un côté puis les bijoux de l’autre. Cela ajoute évidement au charme du petit label/collectif artistique que nombre de jeunes d’aujourd’hui seraient tentés de qualifier d’ « underground ».

Tweed Run – Vélos, Tweed et thé


Un participant du Tweed Run de Londres

Depuis maintenant 3 ans, le Tweed Run rassemble grands et petits pour un tour de vélo dans une grande ville. Les seules règles: porter du Tweed et avoir un vélo. Après avoir fait un tour par New York le 15 Octobre dernier, le Tweed Run est repassé par son pays natal à Londres le 26 Novembre dernier avant de partir pour Tokyo. Comme annoncé, nous y étions.

Contrairement à celle de 2010, et la précédente de 2011 qui la jouaient solo, cette édition était organisée en partenariat avec Rugby Ralph Lauren pour celébrer leur premier magasin en Europe. Ceci explique aussi l’omniprésence de rayures jaunes et bleues un peu partout sur les photos. Il y avait vraiment tout types de personnes: jeunes, agées, à barbe et à moustache, hommes et femmes. Tout le monde a joué le jeu et si ce n’était pas pour les téléphone portables, appareils photos dernier cri et les quelques Barclay’s bikes (equivalent du Velib’ à Londres) on aurait pu se croire téléporté dans le Londres des années 40.

À grande doses de politesse, cire à moustache et un petit coup de pouce des flasques cachées dans la chaussette, le groupe est parti de Covent Garden pour se diriger vers Trafalgar Square, puis Hyde Park Corner avant de descendre la King’s Road et enfin s’arrêter pour la « Tea Break » promise, le tout agrémenté de grands « Tally Ho! », pour le courage surement.

Après une orgie de cup cakes, le groupe s’est élancé à nouveau vers Knightsbrige, puis d’avantage vers le sud pour longer la Tamise. La route s’est finie près de Belgrave Square Gardens, au Caledonian Club, où les participants ont pu se réchauffer avec une tasse de thé et/ou un verre de Johnnie Walker Blue Label… l’ordre n’est pas vraiment important.

Les participants ont fait preuve d’originalité, autant pour les habits que pour leurs montures avec de nombreux gentilshommes en plus-fours, complets en tweed et noeuds papillons de toutes les couleurs. Pour les vélos, certains sont allé loin avec des modèles semblant sortir tout droit d’une usine à vapeur des années 30.

Cependant, la réelle conclusion de ce Tweed Run est la suivante: Mesdemoiselles, portez du Tweed! Cela vous va à merveille.

 

Steve de Style Salvage était là aussi pour documenter l’évènement

Il n’y a pas à dire mesdemoiselles, portez du Tweed!

 

Plus d’un passant ont tourné la tête au passage du groupe avec un air étonné

Trafalgar Square

Admiralty House

Hyde Park Corner

Sûrement le vélo le plus incroyable du Run

Ce gentilhomme passait de la musique en parfait accord avec l’ambiance du tour

Première « Tea Break »

Ce gentilhomme m’a demandé de préciser que l’ensemble de sa tenue (chapeau et chaussure compris) ne lui avait coûté que 30£. Faire les puces, ça paie.

American Psycho vs Wall Street


Wall Street – Gordon Gekko (Michael Douglas) et Bud Fox (Charlie Sheen)


Les costumes au cinéma sont et seront toujours une fantastique source d’inspiration. Après avoir analysé les costumes dans les films de Wes Anderson, il ne sera plus ici question de marionnettes de renards mais du redoutable monde de la finance à travers deux films : Wall Street d’Oliver Stone, sorti en salles en 1987 et American Psycho, sorti lui en 2000, mais adapté du best-seller de Bret Easton Ellis datant de 1991. Alors que ces derniers temps les blazers et costumes sont ré-apparus dans la rue, et pas uniquement dans les quartiers d’affaire, rien de mieux que de regarder ce qui se faisait lors de la dernière époque où les costumes furent sur le devant de la scène : les années 80. Baptisée par certains les « années fric », cette époque fut celle de la découverte du monde de la finance, des yuppies et des golden boys, via des scandales à répétition et une bonne dose de films et d’ouvrages plus ou moins fictionnels sur le sujet, ce qui n’est pas sans rappeler ce qu’il se passe aujourd’hui.

Encore une fois, le but premier des costumes est de soutenir l’histoire et la vision du réalisateur. Ainsi dans Wall Street, Bud Fox est un jeune courtier cherchant coûte que coûte à devenir un « player ». Sa garde robe va témoigner de son évolution en véritable requin sans scrupules. Paré au début de simples chemises button-down et d’une montre Lorus à quartz, il a plutôt un look d’étudiant fraîchement débarqué que celui d’un investisseur sans pitié. C’est petit à petit, après sa rencontre avec Gordon Gekko, que le style de Bud se précise. Lors de leur seconde rencontre, Gordon va jusqu’à lui conseiller de s’habiller mieux, et d’aller voir Morty Sills, à l’époque un tailleur renommé de New York et fréquenté notamment par les PDG qui trainaient dans le quartier. Sa garde robe s’affine et on note l’apparition de vestes croisées (bien plus longues que celles que l’on peut voir partout aujourd’hui), de cols clubs et de cols contrastés.


Wall Street – Un col boutonné mal rempli par un noeud de cravate trop fin – Bud a encore tout à apprendre…


Wall Street – Col contrasté, cran de revers aigu, noeud adapté à son encolure – C’est quand même mieux !


Wall Street – Veste croisée 4 boutons et col club contrasté


Quant à Gordon Gekko, venant d’un milieu modeste et ayant atteint des sommets, on peut dire que c’est un parvenu et cela s’exprime très bien dans sa garde robe où le mot d’ordre n’est pas la finesse. Si on n’est pas sûr de comprendre lorsque Ellen Mirojnick, la costumière, le décrit comme « un mix de Clarke Gable et du Duke de Windsor », on est plus d’accord lorsqu’elle explique que la tenue de Gordon est à propos de « pouvoir, d’argent et de séduction », en somme complètement adaptée à vendre du rêve à un Bud Fox en mal de reconnaissance. Un peu à la manière d’un Gatsby ou d’un Nucky Thompson dans Boardwalk Empire, son style est difficile à ignorer et va souvent loin dans les couleurs et les excentricités. Excentricités que l’on doit pour certaines à Alan Flusser. Le fameux tailleur/auteur new-yorkais (et aussi auteur de certaines des bibles de l’habillement – je pense notamment à « Dressing the Man ») fut en charge des costumes de Gordon Gekko, ce qui lui valut un succès considérable auprès des hommes d’affaires de l’époque.

On notera notamment une pièce assez culte de la garde robe de Gordon Gekko : la chemise à rayures horizontales. Elle est toute une révolution à elle seule et un vendeur de Turnbull & Asser me confiait il y a peu qu’elle poussa à l’époque beaucoup de gentlemen à venir demander la même chez leur chemisier favoris. Gordon est aussi le meilleur ambassadeur de la chemise aux poignets et au col blanc contrastant avec le reste de la chemise, que certains appelent chemise « financier », car très populaire dans les quartiers d’affaire à cette époque. Celle-ci est d’ailleurs aussi très présente dans American Psycho

Petite parenthèse historique, à l’ère des cols amovibles, des cols blancs étaient portés de cette manière lorsque le propriétaire n’avait pas de col pour parfaitement aller avec le motif ou la couleur de la chemise. Ensuite, lorsque les cols amovibles furent remplacés par des cols cousus, les tailleurs remplaçaient les cols et poignets usés par de nouveaux coupés dans du tissu blanc, car il est souvent difficile de trouver un tissu qui aille parfaitement avec le reste de la chemise, souvent délavé par le temps et l’usage.


Wall Street – Col contrasté


Wall Street – La fameuse chemise à rayures horizontales – on note que les rayures des manches sont elles verticales, le pattern matching (correspondance des rayures entre les différentes pièces de tissu de la chemise) prend alors une toute autre dimension !


Wall Street – Triple combo : Col club contrasté et épinglé


Wall Street – Ici on note les poignets du costume, ceux-ci marquent bien le manque de discrétion du personnage


American Psycho – Le col contrasté est aussi très présent dans American Psycho, ici sur Patrick Bateman (Christian Bale)


C’est un tout autre angle qui est abordé dans American Psycho, où les costumes toujours très soignés des protagonistes renforcent une idée de standardisation de l’apparence des milieux matérialistes yuppies. En effet, même si on note une préférence de certains personnages secondaires pour les tab collar, tout le monde se ressemble. Comme l’explique Isis Mussenden, la costumière : « Ce film est inhabituel parce qu’il tourne beaucoup autour du fait que les personnages ont du mal à se reconnaître. Le challenge a été de faire en sorte que les acteurs se ressemblent, mais en même temps aient un style bien individuel. ». Pour elle, les costumes doivent aussi raconter l’histoire : « Quand Bateman se sent puissant, il porte une cravate rouge et une chemise à grosses rayures. Mais dans les moments plus faibles il apparaît dans des costumes plus clairs et avec une cravate jaune qui le met moins bien en valeur ».


American Psycho – A l’époque, les bretelles étaient de rigueur


American Psycho – Une chaise Hill House , des chaises Barcelone et du Robert Longo au mur – Les années 80 sont aussi l’époque où l’on commence à faire des rééditions de meubles modernes classiques


American Psycho


American Psycho


La coiffure aussi est importante. Gordon Gekko et Patrick Bateman sont tous les deux représentés comme des personnages peu scrupuleux aux cheveux peignés en arrière. C’est une grande tradition des films hollywoodien que de représenter les méchants de cette manière. Si bien que le journal satirique américain The Onion imagina avec humour une association dénommée la National Organization of Men with Slicked-Back Hair (Association nationale des homme avec les cheveux peignés en arrière) organisant des manifestations pour lutter contre cette pratique nuisant à leur image !

Ce qui est encore plus intéressant losqu’on étudie les costumes ce sont ces petits détails qui donnent de la crédibilité aux films. Des petites manies de personnages secondaires ou principaux qui permettent de donner de la profondeur à ceux-ci, pour peu que les spectateurs les remarquent. C’est par exemple le cas du collègue courtier de Bud Fox dans Wall Street, qui porte toujours sa montre à l’envers, à l’instar d’Alain Delon dans Le Samouraï. Intéressant aussi de noter ce personnage secondaire de American Psycho qui, surement pour adoucir les proportions de son visage et de son cou, semble posséder une belle collection de chemise à tab collar. On remarque aussi à plusieurs reprise dans American Psycho les initiales de Patrick Bateman sur ses poignets de chemises, toujours au même endroit. Et enfin, pour revenir à Wall Street, les autres collègues de Bud Fox ne sont pas en reste : Celui qui perd son emploi porte une cravate avec des têtes de chien (cela renforce un peu le côté victime du personnage), et son patron, toujours de bon conseil, incarne la sobriété vestimentaire même.


American Psycho – Ce personnage porte très souvent des chemises à tab collar


American Psycho – Une brillante illustration de la manière dont un tab collar remonte la cravate et donne du volume à une mise


American Psycho – On aperçoit ici les initiales de Patrick Bateman sur son poignet gauche


American Psycho – Les initiales, toujours au même endroit


Wall Street – Ce personnage secondaire porte toujours sa montre de cette manière


Wall Street – Cravate avec des têtes de chien


Wall Street – Le patron de Bud, toujours très sobre


Cette époque est aussi celle du power dressing, les tenues plus sportswear et relachées des années 70 furent abandonnées au profit d’une garde-robe bien plus conservative, prenant ses racines dans les années 30 et 50. Les épaulettes se développèrent et donnèrent à leur porteur une silhouette en « V », typique de l’époque, que l’on préssentait déjà dans « American Gigolo », où Armani se donna à coeur d’exploiter ce style si particulier. Isis Mussenden explique qu’à l’époque, « tout était plus gros que maintenant – des épaules avec beaucoup de padding, des grosses lunettes, des grosses boucles d’oreilles et colliers. Les vêtements utilisaient de bien plus grandes quantités de tissu. En règle générale, quand les temps sont affluents, les vêtements sont plus volumineux. »


Wall Street – Les trench-coats se portaient bien plus grands et larges à l’époque


Wall Street – Nous sommes bien dans les années 80


American Psycho – Grosses lunettes Oliver Peoples – on en avait déjà parlé ici


Ceci dit il ne faut pas chercher une représentation des costumes fidèle à la réalité. Oliver Stone, qui se souciait du réalisme des costumes ira même voir Ellen Mirojnick, la costume designer de Wall Street, alarmé parce que les costumes n’avaient rien à voir avec ceux qui étaient portés dans les salles de marchés. Selon une interview à Esquire, celle-ci lui répondit « C’est un film, et on va élever le genre. On ne va pas faire ceci complètement enraciné dans le réel, un film c’est pour raconter des histoires ». Pareil, American Psycho est sorti en 2000 et propose donc une interpretation contemporaine des tenues des années 80, à l’instar de La Grande Évasion qui donne un twist années 60 aux uniformes de la seconde guerre mondiale. De plus le but premier de ces costumes est de porter le récit et non de scrupuleusement reproduire le passé. La relation entre les costumes de cinéma et la mode est très intéressante. Si le premier s’inspire du second pour fonctionner, on ne compte plus les références que fait la mode aux films. Ainsi Wall Street et American Psycho sont devenus des sources d’inspiration évidentes pour de nombreux designer, tel Umit Benan et sa collection « Investment Banker ».


Amercian Psycho


Wall Street et American Psycho (par ailleurs tous deux disponibles en DVD) sont sortis en réaction à la folie libérale des marchés des années 80, prenant son point culminant lors des nombreux délits d’initiés puis du crack de 1987. Si Wall Street pose la question du bénéfice de l’avidité (le fameux « Greed is good »), American Psycho met en valeur le matérialisme vain des yuppies. Cependant, le charisme (et les costumes) de Gordon Gekko et de Patrick Bateman fit de ces personnages de véritables modèles, et ceux-ci poussèrent même des gens à faire carrière dans la finance…

Tommy Ton à la New-York fashion week

La semaine dernière a eu lieu la fashion week new-yorkaise. L’occasion pour le photographe Tommy Ton (auteur du site de street style Jak and Jil) de capturer pour GQ US les looks et détails masculins les plus réussis. On avait déjà parlé du travail de Tommy Ton à l’occasion de Pitti Uomo, et si il continue à prendre de telles photos, je pense que ce n’est pas la dernière fois. Encore une fois on trouve une bonne dose d’inspiration dans ce slide-show, et même si on est loin du foisonnement créatif de Pitti Uomo, il y a des idées intéressantes. Ci-dessous vous trouverez une selection toute subjective, le reste se trouve ici.