Interview – Husbands

On est comme ça chez Husbands, décontractés. Puis comme ça vous savez qui pose les questions (à gauche). Merci à Robin N. pour la photo !


Quand Nicolas Gabard nous a envoyé un mail pour nous présenter sa marque de vêtements pour homme, j’ai tout de suite été séduit, quelque chose m’avait interpellé dans la fraîcheur de l’image de marque et la simplicité du site internet. Le premier contact numérique réussi, il me fallait aller toucher les produits. Là encore bingo, une fois les pièces examinées je savais que c’était de loin la jeune marque la plus intéressante qu’il m’avait été donné de découvrir depuis longtemps. Après avoir écrit et publié ces quelques lignes pour vous faire part de mes premières impressions quelque chose me poussait à vouloir y retourner : outre les produits impeccables et l’image léchée, la démarche complète semblait particulièrement cohérente et différente de ce que le milieu avait à offrir d’habitude. Je suis donc retourné au 8 rue Manuel dans le 9ème arrondissement de Paris pour parler chiffons.

Après m’avoir offert un traditionnel café et quelques délicieux gâteaux italiens, Nicolas dû s’absenter un cour instant pour dissuader une pervenche un peu trop consciencieuse qui inspectait la rue. Je profitais de ce moment seul dans le bureau/boutique pour en balayer du regard les étagères où quelques vieux grands classiques de la littérature un peu jaunis attendaient tranquillement d’être redécouverts alors que de gros ouvrages de design et de mode masculines bataillaient avec des carnets d’échantillons de tissus très épais et quelques planches de boutons où la corne et le corroso taillaient le bout de gras. Quelques vinyls de groupes de rock anglais assistaient à la scène, observant les chaises de designers des années 70 savamment sélectionnées. Le bruit de la porte me tirait de ma rêverie et Nicolas qui entrait s’excusa de sa courte absence. Fasciné par l’environnement je ne lui répondais pas immédiatement mais entamais directement par une question qui venait de me traverser l’esprit:


Tu m’expliquais, la fois où tu me présentais Husbands, le lien entre culture et vêtement, pourquoi est ce que c’est important pour Husbands ?

Ce qu’il y a de fascinant dans le vêtement masculin, c’est qu’il dissimule des centaines d’histoires. Histoires liées à sa fonction qui appelle tels ou tel détails, formes, couleurs et qui perdurent jusqu’à nos jours. Histoires des savoir-faire qu’il véhicule, et de leurs évolutions. Histoires de ceux qui l’ont porté, en créant un style propre, encore source d’inspiration. Ces sous-bassements historiques, politiques, sociologiques, sont maginfiquement exliqués par Farid Chenoun dans son livre « Des Modes et des Hommes« . Bref on ne s’emmerde jamais quand on parle de vêtements masculins.

C’est l’ensemble de ces dimensions, qu’avec Synneve nous avons décidé d’explorer avec HUSBANDS, une démarche plus proche de l’archiviste, que du styliste. L’idée est d’explorer le vestiaire masculin et d’identifier les essentiels, les pièces maîtresses, ces pièces que chaque homme pourrait avoir pour construire sa garde robe idéale. Une sorte d’alphabet dans lequel tout à chacun pourra puiser pour raconter sa propre histoire. La construction de cette garde robe nécessite que chaque vêtement puisse durer, s’user, se patiner. D’où les savoir-faire traditionnels, gage de confort et de qualité, et les matières nobles et authentiques, à même de supporter la patine du temps.

Cet alphabet HUSBANDS le construit aujourd’hui en 2013, de sorte qu’il convient aussi d’intégrer dans cette garde robe idéale, évidemment le trois pièces en flanel rayures tennis, le costume croisé bleu en super 100, ou le manteau croisé Churchill mais aussi des éléments que s’évertuent à ignorer les Dressing the Man et autres Eternel Masculin : le selvedge denim 14,3/4OZ , les chelsea boots, la veste M65, le biker jacket, le pull de marin (toutes ces choses dont vous parlez sur redingote) etc.

Ce qu’on a envie de mettre en avant c’est la dimension culturelle dans sa fabrication mais également de redonner du sens aux pièces que nos contemporains peuvent avoir dans leurs garde robe.


Churchill en pinstripes.

Pourquoi est ce que c’est important pour toi de redonner du sens aux tenues que portent les gens ? Est ce que ça a été perdu ? Parce qu’on le veuille ou non le vêtement est vecteur d’idée, la première impression que tu as d’une personne est ce qui restera en tête pour un bon laps de temps, on ne peut donc pas dire que le vêtement n’est pas déterminant de l’avis que l’on se forge d’une personne que l’on rencontre pour la première fois…

Exactement, le vêtement dit beaucoup de nous. Le problème est que souvent il ne vient dire que ce que d’autres ont décidé de dire pour nous. Et ça s’appelle la mode, qui par un mouvement chaque fois changeant, auquel prennent part stylistes, bureau de tendances, journalistes, acheteurs, etc… vient rendre obsolètes les vêtements de l’année précédente. Me semble beaucoup plus intéressant celui/celle qui trouve sa propre voix(e) et vient expliciter année après année de façon de plus en plus précise la même histoire.

Beaucoup de gardes robes sont des cimetières, et les magasins actuels, des chambres funéraires (rires…).

Ce que nous voudrions, et j’en reviens à cette histoire d’alphabet, c’est qu’une nouvelle génération d’hommes, reviennent aux beaux vêtements qui durent, qu’ils se mettent à les porter, les user, les patiner, et que se faisant ils développent un style propre fait de nuances et de convictions.

Et dans la construction de cet alphabet/garderobe, HUSBANDS aimerait extirper toutes les explications, les histoires, les traditions, qui font du vêtement masculin quelque chose de quasi antinomique avec la notion de mode.

De ce point de vue, on est aussi là pour apprendre de ceux avec qui on travaille, et de nos clients. On a aussi un devoir de modestie et parfois devant la culture encyclopédique de certain, on se tait et on écoute (rire…).


Pantalon taille haute, boots et St James. Enfin lui on savait qu’il était bon.


Tu penses donc que l’on a perdu cette envie de donner du sens à nos tenues ?

Je ne sais pas. Il y a toujours eu des hommes élégants, qui savaient, qui s’intéressaient, qui pouvaient t’expliquer. Un vieux tailleur me disait l’autre jour, que si le vestiaire masculin aime tant les couleurs sombres c’est qu’au XIXème, la bourgeoise industrieuse triomphante entend se distancier de l’aristocratie oisive et de ses couleurs. Le même me racontait que jusqu’à la fin des années 60, les hommes portaient des uniformes codifiés par la nature même de leur activité professionnelle: on habillait le notaire garant du patrimone, en costume trois pièces gris rassurant, le médecin qui va en visite chez ses patients en tweed chaleureux, le banquier d’affaires, en costume bleu raisonnable etc. Puis Renoma est arrivé, et on est passé de Jean Gabin à Jacques Dutronc et Serge Gainsbourg!

Pour revenir à ta question du sens, si on l’a perdu  c’est peut être que l’on avait plus besoin de cette codification rigide et je n’ai pas le sentiment qu’il faille y retourner mais je crois qu’il faut connaître ces choses là. Quand tu mets un costume à rayures trois pièces, savoir que c’était l’uniforme des banquiers de La City, ou que Churchill l’arbore fièrement avec une mitraillette en 1936 dans une flanel Fox Brothers, mais que tu peux en faire autre chose est finalement assez drôle, parce que l’habillement peut être une source de plaisir. Qu’il existe probablement un espace de liberté entre la masturbation stylistique du dandy, l’obsession du détail du geek, et l’ennuyeuse banalité du salary man.


Et si c’est un jeu pourquoi le détail, les matières et le savoir faire ont une place si importante pour Husbands, après tout il suffirait d’aller chez Uniqlo, s’acheter un «déguisement» qui fera l’affaire de la première impression…

Je ne critique pas le genre d’enseignes dont tu parles, et qui ont une offre légitime, qui permettent de s’habiller sans trop dépenser. Reste que si tu désires des vêtements qui durent, si ta stratégie d’acquisition est de construire un vestiaire (et ce que nous voulons proposer avec HUSBANDS), alors deux éléments deviennent essentiels : la qualité de la construction (entoilage complet notamment) et le choix des matières (authentiques). Le vêtement doit se nourrir des beaux savoir faire traditionnels. Ce qui me gêne c’est quand certaines marques, dont on sait que la marge passe avant le souci de la qualité, tentent de faire prospérer un discours clairement opportuniste sur leurs soit disant savoir faire. C’est ce que j’explique à certains clients : il y a costumes et COSTUMES, qui finalement tous ont leur légitimité, mais qu’il ne faut pas tomber dans le piège du marketing de la tradition.

Ensuite, j’ai le sentiment que tu ne t’habilles pas pour les autres, mais pour exprimer une singularité et une personnalité qui t’est propre, en ayant conscience de ce qu’on fait les anciens et te construisant avec ce fond d’histoires.


L’alphabet selon HUSBANDS.


Mark Lee (CEO de Barneys), disait que l’homme en terme de shopping avait de plus en plus tendance à se comporter comme une femme, à voir le shopping comme un loisir plus que comme nécessité, de plus en plus sensible à la mode dans le sens courant du terme. Qu’est ce que tu en penses ?

Ah il doit avoir énormément de donnés que je n’ai pas, là où je vais simplement fonctionner sur de l’intuition. Si ce qu’il dit est que les types se réintéressent à leurs vestiaires, je suis d’accord avec lui. Mais ce qu’il semble sous entendre c’est que l’on va pouvoir faire de la mode pour homme et c’est précisément ce que je ne veux pas faire, la mode change par essence alors que je m’intéresse à la construction d’un vestiaire cohérent. J’en reviens à ta question de tout à l’heure sur le vêtement qui devrait dire de nous, et qui vient dire ce qu’on veut dire pour nous. L’homme n’est pas un femme avec de la barbe. Il ne m’apparait pas comme un animal de mode, continuellement changeant. L’homme se construit une personnalité en même temps qu’un style. Et le vêtement masculin fonctionne sur une temporalité longue, s’inscrit loin des modes, et dispose de ses propres prescripteurs là où la mode féminine  est chaque année soumise à un mécanisme normatif. Les prescripteurs masculins sont des sortes de pères putatifs, modèle de style et aussi de comportement, et de manière d’être. Des comédiens, des écrivains, des musiciens, des architectes ou simplement ton père ou ton grand-père.  Chaque homme raconte sa propre histoire (et pas celle d’un autre, et surtout pas une nouvelle chaque année). Il se choisit des modèles et s’en inspire.

Ensuite, j’ai l’impression que l’homme s’il est sensible à la coupe, et aussi intéressé par ce qu’il y a sous le “capot”. Quand j’observe mes clients, j’ai  l’impression que les deux hémisphères du cerveau sont sollicités, le gauche rationnel, explore les savoir faires, les détails, tandis que le droit  va être plus sensible à la coupe et aux matières. En résumé, je dirais, mais ma perception est peut être biaisé, que l’homme agit selon des stratégies d’acquisition du vêtements et de constitution de son vestiaire. Et c’est souvent aussi pour cette raison, que l’acte d’achat peut prendre du temps. Le problème avec la logique de mode, c’est que si tu mets 6 mois à te décider, et bien la pièce qui t’avait plû est forcément remplacée par une autre qui bien évidemment a peu à voir avec celle qui t’avait séduit. Je trouve cela désespérant, comme si chaque pièce était interchangeable, sans réelle légitimité. Nous avons une ambition tout autre : chaque vêtement HUSBANDS est motivé, a une raison d’être dans le vestiaire. On serait meutri de la voir dispparaître tellement on y a mis du coeur. Et cette pièce essentielle a vocation à rester chez nous des années. Autant te dire, que cette idée qui consiste à laiser le temps au client de réfléchir sans aucune pression n’est pas super bien vu par notre banquier (rires), pas plus que par notre expert-comptable; cela crée du stock et tu paies de l’impôt sur ton stock même quand il n’est pas vendu !

En conclusion, je dirais que ces stratégies où se mêlent rationnalité et plaisir, me semblent rétives à toute logique de mode, encore plus dans un univers hyperconnecté qui permet au gens de ne pas être dupe des discours marketing un peu faisandé.


Donc pour toi il n’y a pas vraiment d’engouement pour le travail du designer menswear ?

Je dirais qu’il en faut pour tout le monde mais que mes clients y sont finalement assez peu sensible. J’ai beaucoup de respect pour ceux qui utilisent le vêtement pour créer, innover, apporter une vision originale, cohérente et audacieuse. Mais ce n’est pas HUSBANDS : nous travaillons plus comme des archivistes, des historiens. Il nous appartient de construire un alphabet de pièces maitresses et de laisser nos clients innover dans la façon de les porter. En fait c’est ça, ce qui nous plaît, c’est la singularité dans l’assemblage, dans le mélange. Quand Gainsbourg associe un pantalon flannel à rayure craie, et un vieux Saint James, ou Redford, un denim et une veste en tweed, ça créé un accident qui fait style.

J’aime bien cette idée de Dries Van Noten qui expliquait qu’un vêtement doit assez peu dire de celui qui l’a conçu et beaucoup de celui qui le porte.

Parce que oui, ça ne marche pas à tous les coups… sorry Marc.


Husbands cherche donc un moyen moins calqué sur la mode féminine pour se développer ?

Oui HUSBANDS c’est du vêtement et pas de la mode. Nous voudrions que les hommes gardent leurs vêtements, les usent, les transmettent. Nous investissons dans les savoir-faire, pas dans les pas de porte. Nos vêtements sont livrés dans des sacs recyclés, pas des boîtes oranges. On cherche vraiment une autre façon de faire, moins violente, moins dévoreuse de ressources. Ce n’est pas forcément quelque chose que l’on met en avant mais cela constitue un objectif fort. D’être responsable dans la création de nos vêtements.

Mais ce n’est pas parce que tu fais du vêtement (et non de la mode ndr), que ta communication doit être forcément  ennuyeuse. Elle est peut-être là l’innovation à trouver.


Tu veux donc renouveler tout ça mais en éditant des classiques parfois centenaires, c’est amusant non ? Est ce qu’il n’y a pas un risque de perdre la mystique incroyable de la culture tailleur en voulant la dépoussiérer ?

On s’envisage comme un lieu de passages et de transmissions. Nous sommes très humbles et on se rend compte qu’il n’y pas un jour ou un client ne nous apprend pas un truc. Nous sommes bien conscients que nous avons beaucoup à découvrir, et nous sommes vraiment admiratifs du travail des artisans. Ça serait une grande fierté que des clients HUSBANDS nous quittent pour aller encore plus haut vers le grand artisanat, voilà encore un truc qui ne fera pas plaisir à notre banquier (rires).

J’ai bien conscience de ce que peut avoir de séduisant l’expérience du luxe, en revanche, ce qui est certain, c’est que pour toute une génération, tout le cérémonial, les codes, les boiseries et les fauteuils club sont au mieux impressionnants, au pire poussiéreux. On voudrait élaguer un peu, simplifier, rendre plus accessible, spontané. Tu sais, un jour je rentre chez un chausseur français bien connu et demande à essayer une paire de richelieu. Le type me regarde un rien méprisant en me disant «Non Monsieur, ceci est une paire de derby». Bon ben voilà, c’est un truc qui n’arrivera jamais chez nous… parce que je ne sais toujours pas ce qu’est un derby et ça ne sera jamais important.

Ensuite, toute cette pompe du luxe a un coût. Et il me semble que le critère prix, même pour des très beaux savoir faire, est important. La valeur que tu crée en tant qu’entrepreneur doit être équitablement partagé entre ton client, ton atelier, et toi qui doit continuer à développer ta marque.

La valeur ainsi créée ne doit pas être cannibalisée par une seule des entités de la relation. Aujourd’hui certaines marques de luxe font de jolies choses mais avec une exigence de qualité diminiuée par rapport à leurs pratiques passées, animées par des logiques financières. Si H&M et Uniqlo marchent autant, c’est qu’au delà de la démocratisation de la mode qu’ils proposent, leurs clients ont le sentiment d’en avoir pour leur argent. D’un autre côté certaines grandes maisons et marques prestigieuses pratiquent des prix décorrélés de la valeur intrinsèque du produit, le prix perdant toute sa valeur d’information. J’ai conscience que nos prix sont élevés, mais ils révèlent les savoirs faires de montages et matières qui définissent nos vêtements.

C’est aussi cette dimension qui fera que les hommes réinvestiront leur vestiaire.


Mais le costume n’a t il pas été un peu abandonné ? Même si certains d’entre nous aiment les silhouettes des années 40, il a une image parfois un peu ringarde ou trop attachée au monde du travail…

Notre ambition est de redonner à l’homme l’envie de remettre un costume. Il y a un retour à quelque chose. Les années 70/80 sont un peu la conquête du confort, on vient d’un monde très corseté, assez figé. Mais cette conquête du confort s’est un peu fait au détriment du vestiaire qui s’est peu à peu appauvri, certains d’hommes abdiquant tout intérêt pour cette richesse, le costume se trouvant alors préempté par l’univers professionnel ou à l’inverse par une espèce de sophistication stylistique d’initiés. Nous voudrions remettre le costume de la rue, montrer qu’on peut être aussi à l’aise et séduisant qu’en jeans et parka.

Les HUSBANDS ce sont forcément ceux du film de Cassavetes avec trois amis qui pendant quelques jours vont partir à la dérive, trois types normaux en costards mais avec une allure terrible.

Comme je te l’ai dit, nous voudrions que l’homme reprenne goût à s’habiller et s’approprie les essentiels que HUSBANDS va proposer. En les mixant à leur façon. Que le costume ne soit pas seulement un vêtement professionnel ou à l’inverse de cérémonie, mais qu’il soit porté quotidiennement avec un réel plaisir et selon un style singulier à chacun.


J’aime assez cette image de vêtement sans obsession: le but de tout ça ce serait finalement d’être suffisamment sûr de sa tenue pour s’en foutre, pour ne pas avoir à en parler plus que nécessaire ? Assez paradoxalement ça m’agace un peu de parler chiffons, j’aime bien quand il n’y a rien à dire à ce propos.

Oui je suis assez d’accord avec toi. C’est Scott Schuman du Sartorialist qui expliquait qu’il aimait bien l’attitude des Italiens, qui passaient beaucoup de temps à acheter un vêtement, mais que c’était justement pour ensuite ne plus y penser. Cela dit, le vêtement doit aussi être partie intégrante de ce que j’appellerais le bagage de « l’honnête homme » actuel, au même titre que les livres, la musique, le cinéma, le vin, la gastronomie etc. Or j’ai le sentiment que si cela semble être la cas en Italie, en Angleterre ou au Japon, ici en France, ça reste toujours un peu suspect, la condamnation pour frivolité n’étant pas loin. Avec HUSBANDS, j’aimerais bien redonner à certain cet intérêt pour le vêtement, sans jamais oublier que si cela est important, ce n’est qu’une partie de ce qui fait une personnalité.



Tu me parlais du choix délibéré de lancer HUSBANDS avec une distribution en propre…

Oui absolument, c’est apparu très vite. Et ce choix impacte tout ton modèle d’affaire, puisque tu dois financer ton propre stock, là ou la distribution t’autorise à ne financer qu’une tête de collection, la mise en production des vêtements ne venant qu’après les commandes des acheteurs/distributeurs.

Mais c’était vraiment ça qu’on voulait. J’expliquais l’autre jour, qu’on ne vendait pas des vêtements mais qu’on habillait des gens. Et ça change tout, parce que tu ne peux pas te permettre qu’un vêtement n’aille pas. Tu ne peux pas laisser partir un client avec un vêtement approximatif. Tu dois prendre en charge les retouches sans coût supplémentaire. Et tu ne dois pas hésiter à refuser une vente, si ton vêtement n’est pas adapté à la morphologie du client.

On voulait voir nos vêtements portés. Tu sais c’est très intéressant de monter une marque, de réfléchir à son identité, de travailler la coupe avec le modéliste, de choisir les matières en Angleterre, d’aller à l’atelier en Italie, mais la réelle satisfaction, le truc qui te fait dire que tu sers à quelque chose, c’est quand tu vois quelqu’un dans tes vêtements qui rayonne, et que tu vois qu’il se trouve élégant. C’est la récompense !

Ensuite, ce contact direct avec les clients, t’apporte une mine d’informations. D’abord sur les essayages. Je dis souvent aux gens qui rentrent que nos vêtements sont là pour être essayés avant d’être achetés. Oui je sais c’est très con, t’essaie toujours avant d’acheter, mais pour nous c’est particulièrement intéressant. Sérieusement, chaque essayage t’apporte une information sur la valeur de ton patron, sur la silhouette que tu veux proposer, le style devant se marier avec le confort. Et même si tu as des convictions, tu dois aussi entendre les retours que l’on te fait. Aujourd’hui nous en sommes à notre troisième évolution de patronage en moins d’un an. Et ça tu ne peux le faire, que parce que  chaque jour tu vois tes vêtements portés. Avec des distributeurs ou des détaillants nous serions moins à l’écoute du client final.

Ensuite, souvent nos client viennent nous nourrir, soit parce que ce sont eux aussi des  passionnés, parfois plus pointus que nous, soit qu’ils viennent t’apporter des anecdotes sur leur pères, leurs grands-pères, ou des histoires sur tel ou tels artistes. Et tout cela enrichit considérablement HUSBANDS.

Du coup un détaillant ne t’est pas utile dans la stratégie que tu as choisie?

Aujourd’hui c’est prématuré pour nous. Mais c’est vrai que cela me paraît légitime quand tu es fier de ce que tu fais, de vouloir que le maximum de personnes puissent y avoir accès. Reste que cela doit se faire avec le même souci de service. Aujourd’hui, compte tenu du niveau de notre marge, il nous est impossible d’en plus supporter celle du détaillant. Après tu sais que si tu montes en volume, tu gagnes en marge. À nous de donner ces marges supplémentaires au détaillant, mais en préservant à tout prix notre exigence de qualité.

Et se pose aussi la question de la légitimité et du rôle du détaillant.

Absolument. Avant Internet le détaillant physique était un découvreur en même temps qu’un prescripteur. Avec Internet, les hommes sont en mesure de découvrir eux même tel ou tel produit, de s’informer sur telle ou telle fabrication. Et de passer à l’achat sur un eshop. En boutique, les gens arrivent avec une réelle connaissance. Le détaillant maintenant doit être à niveau, sinon il disparaitra.


Dans le vêtement on a quand même la problématique de l’essayage: acheter sur internet c’est prendre le risque d’être déçu à un certain niveau, que ce soit au niveau du fiting, de la couleur ou du toucher de la matière…

Oui effectivement, et c’est plutôt bien. Reste que and tu vois des sites comme Mr Porter, tu ne peux qu’être bluffé par leur puissance de feu et la qualité de la gestion des retours et des échanges. Je vois les deux expériences comme étant complémentaires l’une de l’autre. Rien ne remplacera jamais un véritable essayage chez un détaillant passionné, mais encore faut-il qu’il le soit. Le web, lui, offre une exhaustivité irremplaçable et une source d’information et de découverte inépuisable.

Au final tout cela marque le retour des passionnés, qu’ils soient créateurs, blogueurs ou consommateurs. Et ce mouvement ne peut qu’améliorer la qualité général de nos vêtements et donnera à redingote encore des raisons d’écrire de nombreux posts (rires).

Husbands – Paris



Un écrin sans fioritures qui s’insère parfaitement dans le quartier.

 

« Quelle promesse implicite fais-je à mon client lorsque je lui propose un vêtement ? ». Pour Nicolas Gabard et Synneve Goode, c’est à ça que se résume le travail d’une marque: répondre à cette question et se plier à ce serment une fois trouvé et formulé.

De leur côté, avec Husbands, l’engagement est de taille: permettre à l’homme de construire sa garde robe parfaite en explorant le patrimoine vestimentaire masculin. Selon eux même si la mode est une réalité dans les habitudes de consommation, l’homme se fiera plus à ses classiques qu’aux derniers modèles extravagants proposés par un designer lambda. Même si on passe notre temps à essayer de les revoir, la durée de certaines pièces dans l’histoire du vestiaire masculin suffit à en dégager des bases solides qui n’ont besoin de ne souffrir d’aucune modifications significatives.

Lors de ma rencontre avec Synneve et Nicolas il m’a évidement fallu lever la première interrogation, la seule question qui me taraudait l’esprit devant cette image de marque si cohérente: pourquoi Husbands ? et du tac au tac de me voir répondre « pour le film de Cassavetes ». Déjà suffisante, la réponse allait pourtant plus loin: « le husband c’est aussi le client, quelqu’un qui existe, qui vit avec le costume ou le vêtement sur le dos, qui est fatigué et qui peut avoir des « bosses » sur le visage » en somme, pas un mannequin au sourire bright d’une pub Dolce Gabbana à qui personne n’a envie de ressembler.

Commencer par une ligne de costumes la construction d’une garde robe sans failles paraissait alors tout naturel: essentiel à tout homme qui se respecte, il donnera de l’allure à son porteur dans n’importe quelle circonstance, qu’il s’agisse d’aller siroter des bières à une terrasse d’automne ou de se rendre à un cocktail guindé dans un quartier chic à la nuit tombée. Le rêve secret de Synneve et Nicolas étant bien sûr qu’il redevienne une habitude vestimentaire qui sortirait de la simple distinction boulot/loisir, parce que l’indétrônable combo t-shirt/jean/basket ne nous donnera jamais autant de classe qu’un pantalon taille haute en flanelle accompagné de sa veste assortie.

Pour apercevoir l’enseigne, il faut vraiment chercher !

 

Si la silhouette recherchée était importante à définir lors de la création d’Husbands, Nicolas et Synneve ne souhaitaient pas s’arrêter là. Amoureux des belles matières, des choses bien faites et respectueux des savoirs faires incroyables associés à la « culture tailleurs », la notion de beaux vêtements n’était donc pas pour eux qu’une question d’esthétique. Or, chez Husbands il fallait faire du beau, dans tous les sens du terme. Nous sommes là encore en présence d’une de ces jeunes ligne qui s’inscrit dans le mouvement du « consommer moins pour consommer mieux », qui loin du simple slogan politico/marketo facile dessine finalement un art de vivre à part entière. Ils sont donc allé chercher des matières incroyables chez les anglais de la maison centenaire Fox Brothers, chez Hields, chez quelques italiens doués pour la flanelle et se sont démenés pour trouver de petits ateliers de façonniers italiens aux mains magiciennes capables de répondre à leurs exigences en terme de qualité et finitions. Les amateurs de costumes iront forcément fouiner du côté de chez Synneve et Nicolas puisqu’ entoilés traditionnellement, leurs modèles ne sont pas victimes de la maladie industrielle du thermocollage, technique de construction du costume très répandue car plus rapide. Ils garantissent de cette façon la durée de leurs pièces dans le temps…

À contre courant de la dynamique notoire de l’industrie de la mode qui créé sans cesse de nouveaux besoins, Husbands revient aux sources de ce qui faisait l’élégance de nos grands parents: pantalons taille haute sans ceinture, matières incroyables qui s’entretiennent bien et qui vivent avec le porteur, finitions et constructions infaillibles qu’un tailleur ou retoucheur pourra vous reprendre sans problème en cas d’accroc malheureux… toutes ces choses que la « fast-fashion » nous a fait oublier durant des folles années de sur-consommation.

La petite boutique sert également de bureau, qui de mieux placé que les esprits derrière les produits pour conseiller le client ?

 

Ça y est, vous avez l’impression d’avoir déjà lu ça des centaines de fois: « basiques intemporels, bien faits, conçus pour durer, dans des matériaux nobles ». Pourtant c’est très rarement que j’ai un coup de coeur pareil à propos d’une jeune marque. J’ai immédiatement été séduit par la démarche et l’esprit du projet, tout autant que par le soin apporté au produit: coupes, stylisme, matières, sizing, confort, tout y est. Si vous cherchez un costume je ne saurai donc que trop vous conseiller de jeter un oeil au 8 rue Manuel dans le 9ème arrondissement de Paris, vous ne serez vraiment pas déçu, tant par les pièces que vous y trouverez que par le contact authentique et agréable de Synneve et Nicolas. Loin des mauvais commerçants qui peuvent parfois faire marchands de tapis en essayant de vous refourguer une veste trop grande pour arrondir leur journée, ils vous parleront avec passion de leur projet, avec attention de votre allure et s’autoriseront même sûrement à tailler le bout de gras à propos de votre roman préféré. Une fois dans la boutique gardez tout de même un oeil sur le cadran de votre montre, il se pourrait bien que le temps y file plus vite que prévu.


Ils sont tous là, prêt à l’essayage.

Un prince de Galle sans chemise blanche ? ne comptez pas sur Husbands.

Une jolie flanelle pour terminer, dépêchez vous d’aller toucher ces étoffes !

Husbands est installé 8 rue Manuel, dans le 9ème arrondissement de Paris.


Boardwalk Empire – Saison 3

Costars, cigares et whisky… où est ce que je signe ?

Hop messieurs, c’est parti pour une troisième saison de Boardwalk Empire ! si vous êtes friands de série télévisées, de prohibition et de beaux vêtements vous savez ce qu’il vous reste à faire.

American Psycho vs Wall Street


Wall Street – Gordon Gekko (Michael Douglas) et Bud Fox (Charlie Sheen)


Les costumes au cinéma sont et seront toujours une fantastique source d’inspiration. Après avoir analysé les costumes dans les films de Wes Anderson, il ne sera plus ici question de marionnettes de renards mais du redoutable monde de la finance à travers deux films : Wall Street d’Oliver Stone, sorti en salles en 1987 et American Psycho, sorti lui en 2000, mais adapté du best-seller de Bret Easton Ellis datant de 1991. Alors que ces derniers temps les blazers et costumes sont ré-apparus dans la rue, et pas uniquement dans les quartiers d’affaire, rien de mieux que de regarder ce qui se faisait lors de la dernière époque où les costumes furent sur le devant de la scène : les années 80. Baptisée par certains les « années fric », cette époque fut celle de la découverte du monde de la finance, des yuppies et des golden boys, via des scandales à répétition et une bonne dose de films et d’ouvrages plus ou moins fictionnels sur le sujet, ce qui n’est pas sans rappeler ce qu’il se passe aujourd’hui.

Encore une fois, le but premier des costumes est de soutenir l’histoire et la vision du réalisateur. Ainsi dans Wall Street, Bud Fox est un jeune courtier cherchant coûte que coûte à devenir un « player ». Sa garde robe va témoigner de son évolution en véritable requin sans scrupules. Paré au début de simples chemises button-down et d’une montre Lorus à quartz, il a plutôt un look d’étudiant fraîchement débarqué que celui d’un investisseur sans pitié. C’est petit à petit, après sa rencontre avec Gordon Gekko, que le style de Bud se précise. Lors de leur seconde rencontre, Gordon va jusqu’à lui conseiller de s’habiller mieux, et d’aller voir Morty Sills, à l’époque un tailleur renommé de New York et fréquenté notamment par les PDG qui trainaient dans le quartier. Sa garde robe s’affine et on note l’apparition de vestes croisées (bien plus longues que celles que l’on peut voir partout aujourd’hui), de cols clubs et de cols contrastés.


Wall Street – Un col boutonné mal rempli par un noeud de cravate trop fin – Bud a encore tout à apprendre…


Wall Street – Col contrasté, cran de revers aigu, noeud adapté à son encolure – C’est quand même mieux !


Wall Street – Veste croisée 4 boutons et col club contrasté


Quant à Gordon Gekko, venant d’un milieu modeste et ayant atteint des sommets, on peut dire que c’est un parvenu et cela s’exprime très bien dans sa garde robe où le mot d’ordre n’est pas la finesse. Si on n’est pas sûr de comprendre lorsque Ellen Mirojnick, la costumière, le décrit comme « un mix de Clarke Gable et du Duke de Windsor », on est plus d’accord lorsqu’elle explique que la tenue de Gordon est à propos de « pouvoir, d’argent et de séduction », en somme complètement adaptée à vendre du rêve à un Bud Fox en mal de reconnaissance. Un peu à la manière d’un Gatsby ou d’un Nucky Thompson dans Boardwalk Empire, son style est difficile à ignorer et va souvent loin dans les couleurs et les excentricités. Excentricités que l’on doit pour certaines à Alan Flusser. Le fameux tailleur/auteur new-yorkais (et aussi auteur de certaines des bibles de l’habillement – je pense notamment à « Dressing the Man ») fut en charge des costumes de Gordon Gekko, ce qui lui valut un succès considérable auprès des hommes d’affaires de l’époque.

On notera notamment une pièce assez culte de la garde robe de Gordon Gekko : la chemise à rayures horizontales. Elle est toute une révolution à elle seule et un vendeur de Turnbull & Asser me confiait il y a peu qu’elle poussa à l’époque beaucoup de gentlemen à venir demander la même chez leur chemisier favoris. Gordon est aussi le meilleur ambassadeur de la chemise aux poignets et au col blanc contrastant avec le reste de la chemise, que certains appelent chemise « financier », car très populaire dans les quartiers d’affaire à cette époque. Celle-ci est d’ailleurs aussi très présente dans American Psycho

Petite parenthèse historique, à l’ère des cols amovibles, des cols blancs étaient portés de cette manière lorsque le propriétaire n’avait pas de col pour parfaitement aller avec le motif ou la couleur de la chemise. Ensuite, lorsque les cols amovibles furent remplacés par des cols cousus, les tailleurs remplaçaient les cols et poignets usés par de nouveaux coupés dans du tissu blanc, car il est souvent difficile de trouver un tissu qui aille parfaitement avec le reste de la chemise, souvent délavé par le temps et l’usage.


Wall Street – Col contrasté


Wall Street – La fameuse chemise à rayures horizontales – on note que les rayures des manches sont elles verticales, le pattern matching (correspondance des rayures entre les différentes pièces de tissu de la chemise) prend alors une toute autre dimension !


Wall Street – Triple combo : Col club contrasté et épinglé


Wall Street – Ici on note les poignets du costume, ceux-ci marquent bien le manque de discrétion du personnage


American Psycho – Le col contrasté est aussi très présent dans American Psycho, ici sur Patrick Bateman (Christian Bale)


C’est un tout autre angle qui est abordé dans American Psycho, où les costumes toujours très soignés des protagonistes renforcent une idée de standardisation de l’apparence des milieux matérialistes yuppies. En effet, même si on note une préférence de certains personnages secondaires pour les tab collar, tout le monde se ressemble. Comme l’explique Isis Mussenden, la costumière : « Ce film est inhabituel parce qu’il tourne beaucoup autour du fait que les personnages ont du mal à se reconnaître. Le challenge a été de faire en sorte que les acteurs se ressemblent, mais en même temps aient un style bien individuel. ». Pour elle, les costumes doivent aussi raconter l’histoire : « Quand Bateman se sent puissant, il porte une cravate rouge et une chemise à grosses rayures. Mais dans les moments plus faibles il apparaît dans des costumes plus clairs et avec une cravate jaune qui le met moins bien en valeur ».


American Psycho – A l’époque, les bretelles étaient de rigueur


American Psycho – Une chaise Hill House , des chaises Barcelone et du Robert Longo au mur – Les années 80 sont aussi l’époque où l’on commence à faire des rééditions de meubles modernes classiques


American Psycho


American Psycho


La coiffure aussi est importante. Gordon Gekko et Patrick Bateman sont tous les deux représentés comme des personnages peu scrupuleux aux cheveux peignés en arrière. C’est une grande tradition des films hollywoodien que de représenter les méchants de cette manière. Si bien que le journal satirique américain The Onion imagina avec humour une association dénommée la National Organization of Men with Slicked-Back Hair (Association nationale des homme avec les cheveux peignés en arrière) organisant des manifestations pour lutter contre cette pratique nuisant à leur image !

Ce qui est encore plus intéressant losqu’on étudie les costumes ce sont ces petits détails qui donnent de la crédibilité aux films. Des petites manies de personnages secondaires ou principaux qui permettent de donner de la profondeur à ceux-ci, pour peu que les spectateurs les remarquent. C’est par exemple le cas du collègue courtier de Bud Fox dans Wall Street, qui porte toujours sa montre à l’envers, à l’instar d’Alain Delon dans Le Samouraï. Intéressant aussi de noter ce personnage secondaire de American Psycho qui, surement pour adoucir les proportions de son visage et de son cou, semble posséder une belle collection de chemise à tab collar. On remarque aussi à plusieurs reprise dans American Psycho les initiales de Patrick Bateman sur ses poignets de chemises, toujours au même endroit. Et enfin, pour revenir à Wall Street, les autres collègues de Bud Fox ne sont pas en reste : Celui qui perd son emploi porte une cravate avec des têtes de chien (cela renforce un peu le côté victime du personnage), et son patron, toujours de bon conseil, incarne la sobriété vestimentaire même.


American Psycho – Ce personnage porte très souvent des chemises à tab collar


American Psycho – Une brillante illustration de la manière dont un tab collar remonte la cravate et donne du volume à une mise


American Psycho – On aperçoit ici les initiales de Patrick Bateman sur son poignet gauche


American Psycho – Les initiales, toujours au même endroit


Wall Street – Ce personnage secondaire porte toujours sa montre de cette manière


Wall Street – Cravate avec des têtes de chien


Wall Street – Le patron de Bud, toujours très sobre


Cette époque est aussi celle du power dressing, les tenues plus sportswear et relachées des années 70 furent abandonnées au profit d’une garde-robe bien plus conservative, prenant ses racines dans les années 30 et 50. Les épaulettes se développèrent et donnèrent à leur porteur une silhouette en « V », typique de l’époque, que l’on préssentait déjà dans « American Gigolo », où Armani se donna à coeur d’exploiter ce style si particulier. Isis Mussenden explique qu’à l’époque, « tout était plus gros que maintenant – des épaules avec beaucoup de padding, des grosses lunettes, des grosses boucles d’oreilles et colliers. Les vêtements utilisaient de bien plus grandes quantités de tissu. En règle générale, quand les temps sont affluents, les vêtements sont plus volumineux. »


Wall Street – Les trench-coats se portaient bien plus grands et larges à l’époque


Wall Street – Nous sommes bien dans les années 80


American Psycho – Grosses lunettes Oliver Peoples – on en avait déjà parlé ici


Ceci dit il ne faut pas chercher une représentation des costumes fidèle à la réalité. Oliver Stone, qui se souciait du réalisme des costumes ira même voir Ellen Mirojnick, la costume designer de Wall Street, alarmé parce que les costumes n’avaient rien à voir avec ceux qui étaient portés dans les salles de marchés. Selon une interview à Esquire, celle-ci lui répondit « C’est un film, et on va élever le genre. On ne va pas faire ceci complètement enraciné dans le réel, un film c’est pour raconter des histoires ». Pareil, American Psycho est sorti en 2000 et propose donc une interpretation contemporaine des tenues des années 80, à l’instar de La Grande Évasion qui donne un twist années 60 aux uniformes de la seconde guerre mondiale. De plus le but premier de ces costumes est de porter le récit et non de scrupuleusement reproduire le passé. La relation entre les costumes de cinéma et la mode est très intéressante. Si le premier s’inspire du second pour fonctionner, on ne compte plus les références que fait la mode aux films. Ainsi Wall Street et American Psycho sont devenus des sources d’inspiration évidentes pour de nombreux designer, tel Umit Benan et sa collection « Investment Banker ».


Amercian Psycho


Wall Street et American Psycho (par ailleurs tous deux disponibles en DVD) sont sortis en réaction à la folie libérale des marchés des années 80, prenant son point culminant lors des nombreux délits d’initiés puis du crack de 1987. Si Wall Street pose la question du bénéfice de l’avidité (le fameux « Greed is good »), American Psycho met en valeur le matérialisme vain des yuppies. Cependant, le charisme (et les costumes) de Gordon Gekko et de Patrick Bateman fit de ces personnages de véritables modèles, et ceux-ci poussèrent même des gens à faire carrière dans la finance…

Umit Benan – Retired Rockers


Collection Automne/Hiver 2010 « Retired Rockers »

Au cours de diverses recherches sur internet je suis tombé nez à nez avec une marque pour le moins inattendue : Umit Benan.

« U mite quoi? » est la première réaction que j’ai eu, et je ne dois pas être le seul. Umit Benan est en fait le nom du créateur. D’origine Turque ce jeune homme de 31 ans, ou sur le point de les avoir si mes calculs sont bons, a fait un bout de chemin : né en Allemagne, il est ensuite allé en Turquie à 15 ans pour continuer ses études et travailler en même temps dans l’usine textile de son père. S’en suit un début de tour du monde : lycée en Suisse, puis études à Boston, Milan, Londres et New York. Après avoir travaillé entre autre chez Marc Jacobs, il retourne s’installer à Milan et décide de lancer sa marque éponyme en 2009. En bref, il s’agit de quelqu’un qui a vu du pays.


Collection Automne/Hiver 2009 « Day 77″


Ce qui m’a plu est avant tout sa manière de présenter ses collections : les modèles utilisés ont tous de « la gueule » et posent avec humour et de manière décalée de beaucoup de ce qu’on peut voir pour une marque ayant ce positionnement prix. Les thèmes de collections ne manquent pas d’humour non plus : que ce soit « Retired Rockers » ou « Investment Bankers », les sujets sont tournés à la dérision et les modèles proposés collent parfaitement avec les personnages, nous donnant envie de porter ces vêtements et de nous mettre à leurs place.

Du côté des pièces présentées, la marque nous propose de belles coupes pour toutes occasions ainsi qu’une très bonne sélection de matières et de couleurs. C’est portable, c’est classique et original à la fois, c’est beau.

Collection Printemps/Eté 2010 « Cuba »


Umit Benan arrive même à associer des éléments de la garde robe masculine qu’on n’aurait pas imaginé ensemble. Dans la collection de l’été prochain on retrouve par exemple le sarouel décliné à diverses sauces: avec un costume trois-pièces, une veste croisée, un cardigan épais, ou tout simplement taille haute. Je suis le premier à être un peu réticent face au port du sarouel, mais après réflexion, pourquoi pas?

Que ce soit la présentation de la collection en elle-même, les modèles choisis ou les vêtements, Umit Benan a sûrement un bel avenir et on compte bien le suivre dorénavant. Et vous, vous aimez?


Collection Automne/Hiver 2011 « Investment Bankers »


Malgré le jeune âge de cette marque, la revue de presse disponible sur le site est impressionnante et nous fait regretter de ne pas avoir découvert cet hurluberlu du haut de gamme (dans le bon sens du terme) plus tôt. Vous pourrez trouver ci-dessous d’avantage de photos des collections à venir (P/E 2011 et A/H 2011) ainsi que passées (A/H 2009, P/E 2010 et A/H 2010).

http://www.umitbenan.com/


Collection Automne/Hiver 2009 « Day 77″

Collection Automne/Hiver 2009 « Day 77″


Collection Printemps/Eté 2010 « Cuba »


Collection Printemps/Eté 2010 « Cuba »


Collection Automne/Hiver 2010 « Retired Rockers »


Collection Automne/Hiver 2010 « Retired Rockers »


Collection Automne/Hiver 2010 « Retired Rockers »


Collection Printemps/Eté 2011 « Home Sweet home »


Collection Printemps/Eté 2011 « Home Sweet home »


 

Collection Automne/Hiver 2011 « Investment Bankers »



Collection Automne/Hiver 2011 « Investment Bankers »


 

Collection Automne/Hiver 2011 « Investment Bankers »

Boardwalk Empire, côté vestiaire

L’engouement pour Mad Men en France, ça a quelque chose de vraiment étrange. On a d’abord l’impression que la presse française a découvert la série cet été, alors que la première saison a tout de même commencé en 2007. Ensuite les critiques vont quasiment toutes dans la même  direction alors que l’intrigue perd vraiment de la vitesse, et que si ça reste amusant à regarder, c’est sûrement grâce à l’esthétique de l’époque, aux femmes, et surtout aux costumes de chez Brooks Brothers mis en scène. Du coup Mad Men, même si Don Draper est un champion du style, on regardait un peu par défaut. En effet, dès que l’on recherche une série avec de beaux costumes, une ambiance travaillée, une intrigue captivante et une esthétique générale impeccable, l’offre tend à être très réduite.  Heureusement il y a quelque semaines, la relève est arrivée et on se rend compte que dès que les gros bonnets du cinéma commencent à s’en mêler, le monde de la série commence à passer aux choses sérieuses.

Évidement, pour ce qui est des costumes, il est sûrement très difficile de rater quelque chose dès que l’on s’intéresse à la Prohibition et aux années folles tellement l’époque est riche au niveau du textile: la série produite par Martin Scoresese et Mark Wahlberg, ça commençait bien, on savait déjà que rien n’allait être laissé au hasard.

Dans Boardwalk Empire, les personnages sont très travaillés et chacun d’entre eux voit ses traits de caractères, ses origines sociales et géographiques retranscrit dans les plis de ses vêtements. Les matériaux utilisés pour fabriquer les pièces nécessaires sont ceux que l’on trouvait à l’époque et John Dunn, le costumier, ne voulait pas utiliser des pièces issues de friperies. L’équipe aurait dû les restaurer et elles risquaient de paraître suspectes à l’écran. Il a donc fait appel Martin Greenfield, une sommité du monde des maîtres tailleurs, qui après avoir travaillé pour Brooks Brothers dans sa jeunesse, habillait entre autres Paul Newman et Bill Clinton. Ce grand monsieur du costume ne se contente d’ailleurs pas de ses gloires passées et entretient également des liens étroits avec Rag&Bone et Band of Outsiders. On peut avoir un aperçu de son atelier sur  The Selby, et c’est assez plaisant à regarder.

Pour commencer notre rapide tour d’horizon, nous allons commencer par le personnage principal. Interprété par Steve Buscemi, une des cartes des frères Coen (entre autres), Enoch « Nucky » Thompson est une sorte d’homme d’affaire qui est arrivé au sommet à la sueur de son front, en utilisant la force et la corruption, et il entend bien conserver les privilèges qu’il a réussi à obtenir. Comme la plupart des détenteurs de fortunes nouvellement acquises, il aime à faire remarquer son succès et sa réussite par des tenues tape à l’oeil, chatoyantes et luxueuses. On se rappelle surtout de Steve Buscemi dans des rôles de ratés ou de personnages secondaires, ici sous les feux de la rampe, on peut imaginer que ces costumes colorés compensent avec l’impression de faiblesse à laquelle renvoie son physique.  D’ailleurs vous aurez le plaisir de remarquer au fil des épisodes que ses costumes sont très souvent colorés et ornés d’accessoires qui rappellent son identité à ses interlocuteurs.

De stature tout à fait différente, on peut s’intéresser à Arnold Rothstein, ponte de l’alcool à New York, interprété par Michael Stuhlbar, encore piqué aux frères Coen. Ses costumes impeccables, assez sobres, rehaussés de quelques accessoires bien sentis en font l’un des personnages les plus élégants de Boardwalk Empire. Calme, éduqué, posé, violent, il a beaucoup de classe et sait manipuler les codes vestimentaires des classes sociales élevés pour ne pas en faire trop et passer pour un parvenu. Précisement ce qu’il peut manquer à notre ami Nucky.

Michael Shannon aka Nelson Van Alden, l’agent du « Federal bureau of internal revenue » n’est qu’austérité. Fanatique religieux, il prend son travail très à coeur et son costume, sans fioriture, ne lui sert qu’à travailler efficacement.

Le cas de Jimy Darmody est assez amusant, habillé au début de pièces tout à fait quelconques, on aura l’occasion de constater son ascension au sein du syndicat du crime italien lors de sa prise de mesure pour son complet bleu marine. À partir du moment où il aura revêti le vêtement, une véritable transformation s’opère et il deviendra l’un des personnages clés de la série. Interprété par Michaël Pitt, le rôle relancera sans aucun doute la carrière du jeune acteur.

Chalky White est un peu l’équivalent de Nucky Thompson au niveau de son style vestimentaire. Sûrement un des seuls noirs américain à avoir sa place dans les affaires à cette époque, il est très fier, et veut prouver son statut grâce à ses vêtements. On avait déjà croisé l’acteur dans The Wire où il jouait le rôle très réussi de Omar Little, un braqueur  semant la pagaille dans Baltimore. Sa garde robe ressemble beaucoup à celle de Nucky.

Bref, si vous cherchez un moyen de passer le dimanche froid qui nous attend au coin du feu, et de passer un bon moment, n’hésitez pas à vous pencher sur Boardwalk Empire. La série nous fait revivre le sentiment qu’on a pu éprouver en regardant Les Affranchis, Le Parrain II ou Il était une fois en Amérique et nous permet de nous délecter d’une esthétique poussée très agréable.

Men of the Cloth

L’artisanat vestimentaire a le vent en poupe. Même si beaucoup s’intérèssent en ce moment de très près à ce qui se fait de l’autre côté de l’Atlantique, il ne faut pas oublier le patrimoine exceptionnel en la matière dont nous disposons ici, à proximité, en Europe.

Le documentaire Men of the Cloth, qui promet d’être un document assez exceptionnel, nous raconte donc l’histoire de trois maîtres tailleurs italiens, en situant ensuite leur profession dans le contexte actuel en soulignant parfois la difficulté pour ce corps de métier de susciter des vocations.

Produit par la Fondation nationale Italo-américain et par l’ Institut New yorkais de la Culture Italienne, le documentaire s’attache à faire ressentir la passion qui anime ces hommes et révéle la complexité d’un tel artisanat dans un monde très concurrentiel, où le costume a tout de même perdu beaucoup de la magie qu’il dégageait à l’époque à laquelle aller chez le tailleur n’était pas seulement l’affaire de quelques passionnés.

Vicki Vasilopoulos (journaliste pour Esquire, DNR…) suit donc pendant quelques temps Joe Centofanti, Nino Corvato et Checchino Fonticoli trois tailleurs italiens aux parcours bien différents: si les deux premiers exercent aux États Unis, l’un dans la banlieue de Philadelphie, l’autre sur la Madison avenue à New York, le dernier n’est autre que le co-fondateur de l’illustre maison Brioni, qui se tourne vers le futur en fondant une école, la « Brioni factory of artisans ».

Le budget du film étant malheureusement assez léger il semble que la production soit assez lente, le site internet fait d’ailleurs appel aux dons, mais il est sûr qu’à sa sortie il devrait séduire plus d’un amateur de vêtement et de traditions.

photos superbes: JDN