Wild Life Taylor – Tokyo



Devanture du « meilleur magasin de vêtement dans l’univers connu »

Pour être tout à fait honnête, la première fois que je suis passé devant le magasin Wild Life Tailor à Tokyo, j’ai d’abord cru à une friperie haut de gamme. En fait, il en est tout autre. Wild Life Tailor est sûrement un des meilleurs magasins que j’ai pu voir, rien que ça, et d’ailleurs le magasin annonce fièrement sur la devanture: « The best clothing store in the known universe ».

Bien que cela puisse sembler un peu prétentieux, on doit quand même leur accorder que leurs sélection de vêtement en ferait rêver plus d’un: Lock & Co, Alden, Tricker’s, Breuer, Orcival, Mr.Freedom, Porter Classic, Oliver Peoples et bien d’autres à découvrir. Le merchandising n’est pas non plus en reste et réussi à restituer parfaitement l’ambiance attendue pour chacun des deux étages du magasin.

Montres militaires et lunettes Oliver Peoples cohabitent à merveille

Le premier étage est très orienté tailleur : on le comprend très vite à la vue des placards en bois, de la lumière tamisée et des liasses de tissu Dormeuil posées sur l’étagère. Au départ, on se demande si le magasin ne regroupe pas tout simplement toutes les meilleures marques connues de l’homme averti. En y regardant de plus prêt il semble que cela soit le cas, en plus de proposer un service de tailleur sur mesure. En clair, vous pouvez y choisir un ensemble composé d’un costume, d’une paire de chaussures, d’une chemise, d’une cravate, d’une pochette, de lunettes et d’un chapeau à faire pâlir Patrick Bateman. Préparez la carte de visite qui va avec.

Le Laboureur fait partie de la sélection workwear au premier étage

Le deuxième étage possède une toute autre atmosphère. En montant les escaliers, on a tout d’abord le regard attiré par l’étrange tête d’élan empaillée qui a deux paires d’yeux et deux paires de bois. Le reste de la salle rappelle un peu un grenier où l’on aurait installé son atelier (plutôt haut de gamme). On y retrouve des marques comme Mr Freedom pour Sugar Cane, Carharrt par Adam Kimmel, Le Laboureur, Gitman Vintage ou encore Franklin Tailored ainsi que certaines marques du groupe Adam et Ropé, car oui, il s’agit aussi d’un de leurs magasins. Le produit qui m’a tout de même le plus intéressé a été le chapeau entièrement tricoté, on en voit pas tous les jours des comme ça. Pour le reste, je vous laisse découvrir le magasin à travers les photos, et si vous en avez l’opportunité, n’hésitez pas à aller le voir de vos propres yeux.

Wild Life Tailor
1-32-12, Ebisu Nishi, Shibuya-ku, Tokyo
wildlifetailor.adametrope.com


Chapeaux, chaussures, chemises, costumes, foulards et parapluies, tout pour se constituer le parfait ensemble

Une belle sélection de cravates parmi lesquelles celles en soie sauvage qui sont particulièrement belles

L’étrange tête d’élan

La collaboration Mr Freedom et Sugar Cane

Le chapeaux tricotés dont je vous ai parlé plus haut

Devinez qui s’occupe de quel étage?

American Psycho vs Wall Street


Wall Street – Gordon Gekko (Michael Douglas) et Bud Fox (Charlie Sheen)


Les costumes au cinéma sont et seront toujours une fantastique source d’inspiration. Après avoir analysé les costumes dans les films de Wes Anderson, il ne sera plus ici question de marionnettes de renards mais du redoutable monde de la finance à travers deux films : Wall Street d’Oliver Stone, sorti en salles en 1987 et American Psycho, sorti lui en 2000, mais adapté du best-seller de Bret Easton Ellis datant de 1991. Alors que ces derniers temps les blazers et costumes sont ré-apparus dans la rue, et pas uniquement dans les quartiers d’affaire, rien de mieux que de regarder ce qui se faisait lors de la dernière époque où les costumes furent sur le devant de la scène : les années 80. Baptisée par certains les « années fric », cette époque fut celle de la découverte du monde de la finance, des yuppies et des golden boys, via des scandales à répétition et une bonne dose de films et d’ouvrages plus ou moins fictionnels sur le sujet, ce qui n’est pas sans rappeler ce qu’il se passe aujourd’hui.

Encore une fois, le but premier des costumes est de soutenir l’histoire et la vision du réalisateur. Ainsi dans Wall Street, Bud Fox est un jeune courtier cherchant coûte que coûte à devenir un « player ». Sa garde robe va témoigner de son évolution en véritable requin sans scrupules. Paré au début de simples chemises button-down et d’une montre Lorus à quartz, il a plutôt un look d’étudiant fraîchement débarqué que celui d’un investisseur sans pitié. C’est petit à petit, après sa rencontre avec Gordon Gekko, que le style de Bud se précise. Lors de leur seconde rencontre, Gordon va jusqu’à lui conseiller de s’habiller mieux, et d’aller voir Morty Sills, à l’époque un tailleur renommé de New York et fréquenté notamment par les PDG qui trainaient dans le quartier. Sa garde robe s’affine et on note l’apparition de vestes croisées (bien plus longues que celles que l’on peut voir partout aujourd’hui), de cols clubs et de cols contrastés.


Wall Street – Un col boutonné mal rempli par un noeud de cravate trop fin – Bud a encore tout à apprendre…


Wall Street – Col contrasté, cran de revers aigu, noeud adapté à son encolure – C’est quand même mieux !


Wall Street – Veste croisée 4 boutons et col club contrasté


Quant à Gordon Gekko, venant d’un milieu modeste et ayant atteint des sommets, on peut dire que c’est un parvenu et cela s’exprime très bien dans sa garde robe où le mot d’ordre n’est pas la finesse. Si on n’est pas sûr de comprendre lorsque Ellen Mirojnick, la costumière, le décrit comme « un mix de Clarke Gable et du Duke de Windsor », on est plus d’accord lorsqu’elle explique que la tenue de Gordon est à propos de « pouvoir, d’argent et de séduction », en somme complètement adaptée à vendre du rêve à un Bud Fox en mal de reconnaissance. Un peu à la manière d’un Gatsby ou d’un Nucky Thompson dans Boardwalk Empire, son style est difficile à ignorer et va souvent loin dans les couleurs et les excentricités. Excentricités que l’on doit pour certaines à Alan Flusser. Le fameux tailleur/auteur new-yorkais (et aussi auteur de certaines des bibles de l’habillement – je pense notamment à « Dressing the Man ») fut en charge des costumes de Gordon Gekko, ce qui lui valut un succès considérable auprès des hommes d’affaires de l’époque.

On notera notamment une pièce assez culte de la garde robe de Gordon Gekko : la chemise à rayures horizontales. Elle est toute une révolution à elle seule et un vendeur de Turnbull & Asser me confiait il y a peu qu’elle poussa à l’époque beaucoup de gentlemen à venir demander la même chez leur chemisier favoris. Gordon est aussi le meilleur ambassadeur de la chemise aux poignets et au col blanc contrastant avec le reste de la chemise, que certains appelent chemise « financier », car très populaire dans les quartiers d’affaire à cette époque. Celle-ci est d’ailleurs aussi très présente dans American Psycho

Petite parenthèse historique, à l’ère des cols amovibles, des cols blancs étaient portés de cette manière lorsque le propriétaire n’avait pas de col pour parfaitement aller avec le motif ou la couleur de la chemise. Ensuite, lorsque les cols amovibles furent remplacés par des cols cousus, les tailleurs remplaçaient les cols et poignets usés par de nouveaux coupés dans du tissu blanc, car il est souvent difficile de trouver un tissu qui aille parfaitement avec le reste de la chemise, souvent délavé par le temps et l’usage.


Wall Street – Col contrasté


Wall Street – La fameuse chemise à rayures horizontales – on note que les rayures des manches sont elles verticales, le pattern matching (correspondance des rayures entre les différentes pièces de tissu de la chemise) prend alors une toute autre dimension !


Wall Street – Triple combo : Col club contrasté et épinglé


Wall Street – Ici on note les poignets du costume, ceux-ci marquent bien le manque de discrétion du personnage


American Psycho – Le col contrasté est aussi très présent dans American Psycho, ici sur Patrick Bateman (Christian Bale)


C’est un tout autre angle qui est abordé dans American Psycho, où les costumes toujours très soignés des protagonistes renforcent une idée de standardisation de l’apparence des milieux matérialistes yuppies. En effet, même si on note une préférence de certains personnages secondaires pour les tab collar, tout le monde se ressemble. Comme l’explique Isis Mussenden, la costumière : « Ce film est inhabituel parce qu’il tourne beaucoup autour du fait que les personnages ont du mal à se reconnaître. Le challenge a été de faire en sorte que les acteurs se ressemblent, mais en même temps aient un style bien individuel. ». Pour elle, les costumes doivent aussi raconter l’histoire : « Quand Bateman se sent puissant, il porte une cravate rouge et une chemise à grosses rayures. Mais dans les moments plus faibles il apparaît dans des costumes plus clairs et avec une cravate jaune qui le met moins bien en valeur ».


American Psycho – A l’époque, les bretelles étaient de rigueur


American Psycho – Une chaise Hill House , des chaises Barcelone et du Robert Longo au mur – Les années 80 sont aussi l’époque où l’on commence à faire des rééditions de meubles modernes classiques


American Psycho


American Psycho


La coiffure aussi est importante. Gordon Gekko et Patrick Bateman sont tous les deux représentés comme des personnages peu scrupuleux aux cheveux peignés en arrière. C’est une grande tradition des films hollywoodien que de représenter les méchants de cette manière. Si bien que le journal satirique américain The Onion imagina avec humour une association dénommée la National Organization of Men with Slicked-Back Hair (Association nationale des homme avec les cheveux peignés en arrière) organisant des manifestations pour lutter contre cette pratique nuisant à leur image !

Ce qui est encore plus intéressant losqu’on étudie les costumes ce sont ces petits détails qui donnent de la crédibilité aux films. Des petites manies de personnages secondaires ou principaux qui permettent de donner de la profondeur à ceux-ci, pour peu que les spectateurs les remarquent. C’est par exemple le cas du collègue courtier de Bud Fox dans Wall Street, qui porte toujours sa montre à l’envers, à l’instar d’Alain Delon dans Le Samouraï. Intéressant aussi de noter ce personnage secondaire de American Psycho qui, surement pour adoucir les proportions de son visage et de son cou, semble posséder une belle collection de chemise à tab collar. On remarque aussi à plusieurs reprise dans American Psycho les initiales de Patrick Bateman sur ses poignets de chemises, toujours au même endroit. Et enfin, pour revenir à Wall Street, les autres collègues de Bud Fox ne sont pas en reste : Celui qui perd son emploi porte une cravate avec des têtes de chien (cela renforce un peu le côté victime du personnage), et son patron, toujours de bon conseil, incarne la sobriété vestimentaire même.


American Psycho – Ce personnage porte très souvent des chemises à tab collar


American Psycho – Une brillante illustration de la manière dont un tab collar remonte la cravate et donne du volume à une mise


American Psycho – On aperçoit ici les initiales de Patrick Bateman sur son poignet gauche


American Psycho – Les initiales, toujours au même endroit


Wall Street – Ce personnage secondaire porte toujours sa montre de cette manière


Wall Street – Cravate avec des têtes de chien


Wall Street – Le patron de Bud, toujours très sobre


Cette époque est aussi celle du power dressing, les tenues plus sportswear et relachées des années 70 furent abandonnées au profit d’une garde-robe bien plus conservative, prenant ses racines dans les années 30 et 50. Les épaulettes se développèrent et donnèrent à leur porteur une silhouette en « V », typique de l’époque, que l’on préssentait déjà dans « American Gigolo », où Armani se donna à coeur d’exploiter ce style si particulier. Isis Mussenden explique qu’à l’époque, « tout était plus gros que maintenant – des épaules avec beaucoup de padding, des grosses lunettes, des grosses boucles d’oreilles et colliers. Les vêtements utilisaient de bien plus grandes quantités de tissu. En règle générale, quand les temps sont affluents, les vêtements sont plus volumineux. »


Wall Street – Les trench-coats se portaient bien plus grands et larges à l’époque


Wall Street – Nous sommes bien dans les années 80


American Psycho – Grosses lunettes Oliver Peoples – on en avait déjà parlé ici


Ceci dit il ne faut pas chercher une représentation des costumes fidèle à la réalité. Oliver Stone, qui se souciait du réalisme des costumes ira même voir Ellen Mirojnick, la costume designer de Wall Street, alarmé parce que les costumes n’avaient rien à voir avec ceux qui étaient portés dans les salles de marchés. Selon une interview à Esquire, celle-ci lui répondit « C’est un film, et on va élever le genre. On ne va pas faire ceci complètement enraciné dans le réel, un film c’est pour raconter des histoires ». Pareil, American Psycho est sorti en 2000 et propose donc une interpretation contemporaine des tenues des années 80, à l’instar de La Grande Évasion qui donne un twist années 60 aux uniformes de la seconde guerre mondiale. De plus le but premier de ces costumes est de porter le récit et non de scrupuleusement reproduire le passé. La relation entre les costumes de cinéma et la mode est très intéressante. Si le premier s’inspire du second pour fonctionner, on ne compte plus les références que fait la mode aux films. Ainsi Wall Street et American Psycho sont devenus des sources d’inspiration évidentes pour de nombreux designer, tel Umit Benan et sa collection « Investment Banker ».


Amercian Psycho


Wall Street et American Psycho (par ailleurs tous deux disponibles en DVD) sont sortis en réaction à la folie libérale des marchés des années 80, prenant son point culminant lors des nombreux délits d’initiés puis du crack de 1987. Si Wall Street pose la question du bénéfice de l’avidité (le fameux « Greed is good »), American Psycho met en valeur le matérialisme vain des yuppies. Cependant, le charisme (et les costumes) de Gordon Gekko et de Patrick Bateman fit de ces personnages de véritables modèles, et ceux-ci poussèrent même des gens à faire carrière dans la finance…

Oliver Peoples – O'Malley

Alors que les lunettes à grosses montures sont incontestablement de retour, et pas seulement chez les plus branchés, on remarque autour de nous que les formes s’arrondissent légèrement.

Une bonne occasion pour traiter du modèle classique de la marque de lunettes californienne Oliver Peoples : les O’Malley. La courte histoire de Oliver Peoples remonte à 1988, année à laquelle la marque se lança en commercialisant des modèles aux allures vintages. Larry Leight, à l’origine opticien, raconte que la marque fut créée après l’achat lors d’une vente aux enchères de la totalité de la collection d’un dénommé Oliver Peoples, collectionneur averti et passionné de lunettes vintages. L’entreprise s’est donc lancé en vendant les montures issues de la collection de M. Peoples, puis continua en produisant ses propres modèles.

Une de leurs premières réalisation, la O’Malley nommée après l’ancien propriétaire des LA Dodgers, est devenue la plus emblématique de la marque ainsi que la mieux vendue. On la voit d’ailleurs apparaître au nez de Patrick Bateman dans American Psycho, film dont on apprécie énormément les costumes. Bizarrement, la marque a décidé d’arrêter la production de ce modèle phare au début des années 2000, peu avant qu’apparaisse l’engouement général pour les montures plus imposantes. Mais il est toujours très facile de trouver des lunettes semblables, rappelant les années 50 et ses preppies, chez de nombreux fabricants français ou étrangers.

Ceci-dit, Oliver Peoples propose toujours un modèle assez similaire, la Riley, qu’il est possible de se procurer en différentes tailles et couleurs (notamment de nombreuses variantes de coloris écaille), afin de s’assurer qu’elles s’accordent parfaitement aux traits du porteur.

Ci-dessous, quelques images extraites du film American Psycho (2000) de Mary Harron où l’on peut voir les O’Malley.