Interview de Toby Bateman de Mr Porter



Illustration Quentin Williaume, du team créatif L’impeccable

Après de nombreuses rumeurs concernant l’ouverture d’un pendant masculin au géant de la mode féminine en ligne Net-a-Porter, Mr Porter finit par ouvrir ses portes numériques début 2011. Le site impressionnait déjà dès l’annonce de son casting : on y annonçait Toby Bateman, ancien directeur des achats homme de Selfridges et Nick Sullivan, rédacteur en chef mode de Esquire, le tout bien-sûr accompagné par l’expérience des équipes de Nathalie Massenet, la visionnaire ayant eu le flair de lancer Net-à-Porter à une époque pas si lointaine où personne ne croyait possible de vendre du luxe sur internet (et aujourd’hui devenue présidente du British Fashion Council). Le site, via sa sélection, son univers et son service, s’est fait une place particulière au sein de nos bookmarks. Il édite même une des rares newsletters tolérées au sein de nos boites mails. C’est donc avec grand plaisir que nous avons pu poser quelques questions à Toby Bateman, le directeur des achats de ce qui est devenu la référence du commerce en ligne de mode masculine.


Redingote : La toute première fois que j’ai visité Mr Porter, j’ai été impressionné par le fait que vous distribuiez des marques exclusives sur internet, je pense par exemple à Charvet, Turnbull & Asser ou Swayne. Comment avez-vous fait pour les convaincre de travailler avec vous ?

Toby Bateman : C’était fondamental pour nous de mélanger des marques de mode contemporaines avec des marques, peut-être plus anciennes, mais qui sont spécialistes dans ce qu’elles produisent. La manière dont nous avons convaincu Swayne Adeney Brigg, Turnbull & Asser, John Lobb, Charvet, tout ce groupe de marques de travailler avec nous, a été de les persuader que notre client aime le vêtement. Avant que nous ouvrions le site, quand je voyageais autour du monde avec une présentation du concept du site, que je m’adresse à quelqu’un travaillant pour une marque de designer pointue ou tout autre chose, par exemple au PDG de Loro Piana, le point commun de tous ces hommes est qu’ils sont tous passionnés de vêtements. Alors ils comprennent que la collection parfaite de vêtement doit inclure Loro Piana pour les pulls en cachemire, Levi’s pour les jeans, Turnbull & Asser pour les chemises, Charvet pour les cravates, Gucci pour une veste en velours ou Burberry pour un trench. Je pense que cela parle à tout le monde.


R: La gamme de produits sur Mr Porter est plutôt large, des créations de jeunes designers jusqu’à des marques plus traditionnelles et établies, et de pièces abordables à des produits vraiment exceptionnels. J’imagine que vos clients doivent être de la même manière très différents. Est-ce qu’il y a des types de client en particulier auxquels vous pensez quand vous achetez pour Mr Porter ?

T. Bateman: Il y en a beaucoup. Ils peuvent avoir 25 ans ou ils peuvent avoir 45 ans. Ce qui les rapproche, je pense, est le fait qu’ils n’ont pas beaucoup de temps. Je pense que c’est la principale raison pour laquelle nos clients achètent en ligne. Ils travaillent dur, ont sûrement une carrière réussie, ils voyagent sûrement beaucoup, et quand ils ont du temps libre, ce temps est pour eux un véritable luxe, alors ils préfèrent le passer avec leur famille, ou à se faire plaisir d’une façon ou d’une autre, plutôt que d’aller faire les boutiques ou les grands magasins. Le service que nous offrons à cette personne s’adapte parfaitement à son mode de vie car il peut acheter de son bureau, de son Iphone ou de sa tablette, et que si il habite à New York ou à Londres, alors il peut être livré dans la journée. Ce qui est incroyable et probablement le seul endroit où il peut avoir un tel service.

Mais au delà de ça, nos clients peuvent aussi être des hommes qui ne sont pas suffisamment confiants pour entrer dans des boutiques de luxe, qui trouvent l’environnement intimidant, ou qui sont réticents à demander des conseils de style à des vendeurs dans un environnement physique. Pour ce type de personne Mr Porter est un endroit vraiment confortable où il est possible de venir et de découvrir par exemple « comment porter un pantalon en velours côtelé de 5 façons différentes » ou « quelle est la meilleure façon de porter des chaussures à boucle ». Il y a des centaines de choses de ce genre sur lesquelles vous pouvez lire des conseils et voir comment on fait chez Mr Porter.

Il y a aussi entre 20 et 25% de notre clientèle qui est une clientèle féminine. Ce ne sont pas que des hommes en effet, car nous vendons aussi beaucoup de cadeaux. On tâche de donner des idées aux visiteurs, et c’est possible car nous ne sommes pas limités par un espace physique. Si quelqu’un cherche à acheter un cadeau alors on peut lui donner 10 propositions différents de ce que cela pourrait être : un cadeau de moins de 50 euros, un cadeau de moins de 100 euros, de moins de 250, un cadeau en relation avec le voyage…

Mr Porter est tellement vaste, j’espère qu’il y a quelque chose pour tout le monde.


R: Lorsque je travaillais à la City, j’avais remarqué un de vos éditoriaux qui traitait précisément de cadres du secteur de la finance, je m’étais alors dit que cela devait correspondre à une de vos principales cibles…

T. Bateman: Nous interviewons aussi des acteurs, des artistes, des designers et des architectes, des pops stars, de vieilles pops stars… Nous avons même récemment publié une interview de Pierre Sarkozy. Cette dernière était vraiment intéressante, apparemment il ne pouvait pas trop faire parler de lui lorsque son père était encore président. Il ne pouvait d’ailleurs pas du tout se produire en tant que DJ à Paris. Maintenant que son père n’est plus président, il peut à nouveau faire ce genre de chose. J’espère que nos clients et nos lecteurs – parce qu’il y a beaucoup de gens qui viennent sur le site et qui n’achètent pas forcément – j’espère que ces gens trouvent ce type d’interviews intéressantes, qu’ils apprécient les séries mode que l’on fait et le style que l’on propose.


R: Je sais que Loro Piana propose un service de confection de pull en cachemire sur mesure. Est-ce que c’est quelque chose que vous avez imaginé faire chez Mr Porter ?

T. Bateman: Pas encore, cela pourrait être prévu mais pas encore. Nous avons discuté de cela mais nous n’avons pas de date précise me permettant de dire : oui nous allons lancer du sur mesure sur certains produits à ce moment là. Il sera intéressant de voir comment cela reçu sur internet, mais je pense que cela se développera parce que de plus en plus de choses doivent trouver des moyens de se traduire sur internet. C’est inévitable que l’on va vouloir de la grande mesure ou du sur mesure en ligne.


R: Il me semble qu’en ligne, uniquement les plus gros distributeurs peuvent survivre sur le long terme. Selon vous, de quelle manière va évoluer le paysage de la distribution de vêtement masculin en ligne dans les prochaines années ?

T. Bateman: Je ne pense pas que seulement les plus gros distributeurs survivront, ou que seulement les entreprises avec le plus d’argent derrière elles survivront. Il y a plein de plus petites entreprises en ligne, plein de petites boutiques indépendantes avec de bons sites internet. Peut-être que c’est une histoire de commencer petit puis de grossir. Je pense qu’il y a aussi de la place pour de petits acteurs, que ceux-ci peuvent se lancer et avoir du succès, tout dépend de la manière dont c’est fait.

Pour nous, la compétition est vraiment quelque chose de bien, elle est la bienvenue et il y a des boutiques en ligne que j’admire énormément. Si il n’y avait pas de compétition, personne ne s’améliorerait jamais. Cela nous pousse à faire mieux et à toujours penser à de nouvelles idées. Aussi, je pense que ce que Mr Porter fait est assez unique lorsqu’on compare avec ces autres entreprises. Nous avons un super magazine qui est mis a jour 52 fois par an. Nous avons une sélection très large mais je pense que nous avons un point de vue et un niveau de goût très clair. Une des remarques que nous recevons régulièrement de nos clients ou des marques avec lesquelles nous travaillons est que Mr Porter est immédiatement compréhensible.  Il ne faut passer que quelques minutes sur le site, regarder les produits, regarder les marques, regarder quelques photos et la manière dont les produits sont assortis, et on comprend d’où nous venons et vers quoi nous souhaitons aller. Il y a toujours de la place pour d’autres sites faisant les choses différemment, cela pourrait être quelque chose de plus luxueux, de plus pointu, ou peut-être quelque chose de juste classique et traditionnel…


R.: Mr Porter est arrivé assez tard sur le marché de la mode masculine haut de gamme sur internet, je suis assez surpris qu’il n’y avait pas de gros acteurs sur ce marché avant vous…

T. Bateman: Oui c’est surprenant en effet. Je pense que c’est surtout le cas au Royaume-Uni et en Europe. En fait le marché de la mode masculine en ligne est un peu plus mature aux Etats-Unis. Les groupes de grands magasins là-bas ont des boutiques en ligne depuis déjà plus de dix ans. Les Américains ont aussi véritablement investi dans la mode masculine, et assez tôt. C’est juste que les entreprises européennes ne l’ont pas fait. Elles ont sûrement leurs raisons, mais maintenant nous sommes là.


R.: Lors d’une interview au magazine anglais Drapers, vous avez dit : « Il n’y a pas beaucoup de marque sur Mr Porter que vous ne pouvez pas acheter ailleurs, mais le site est tellement aspirationnel – le gens veulent juste faire partie de son monde ». Qu’est-ce qui, selon-vous, rend Mr Porter si aspirationnel ? Quelle est la recette ?

T. Bateman: Je pense que ce sont deux choses. Ce sont le magazine,  ainsi que les marques et les produits, et la manière dont nous nous mélangeons cela ensemble. Cette dernière chose est tout simplement ce qu’il y a de plus important pour Mr Porter, et c’est ce qui rend notre site si aspirationnel. Il est aussi important que nous ne soyons pas exclusifs, et c’est ce qui est vraiment intéressant avec internet : c’est ouvert a tout le monde. Il y a un désir, de la part des clients, de faire partie du monde de Mr Porter, de recevoir la boite Mr Porter par la poste avec leur chemise bien emballée dans du papier de soie, le ruban et l’autocollant avec écrit « Mr Bateman ». Cela fait se sentir spécial et nous faisons particulièrement attention à cela.

Donc pour résumer ce sont probablement trois choses : le journal, les produits et le service. Le service n’est pas à ous-estimé car au final ce que nous faisons est facilement comparable, si ce n’est pas mieux, que le service que l’on pourrait avoir dans les meilleures boutiques physiques du monde. Et c’est très important.


R.: J’ai l’impression qu’il y a quelque chose de plus sur Mr Porter, la manière dont ces deux parties fonctionnent ensemble…

T. Bateman: Il y a aussi beaucoup d’intégrité dedans. Pour un client ou un lecteur, il est important de jamais ressentir qu’on essaie de pousser des produits à travers le journal, parce que ce n’est pas ce que nous essayons de faire. Nous croyons en tout ce que nous écrivons et traitons dans le journal, et son contenu vient de toute l’équipe derrière Mr Porter. Nous croyons réellement en ces produits. Je n’achèterais jamais un produit que je ne pense pas être intéressant. Nous achetons ces beaux produits, nous les présentons d’une belle manière et nous parlons de leur provenance, de leur qualité et de leur style dans le journal. Le client apprécie cette combinaison de choses et, je l’espère, aura envie d’acheter ces produits.


R.: Lorsque j’ai fait quelques recherches sur Mr Porter, j’ai lu à votre sujet ainsi qu’au sujet de Jeremy Langmead, le rédacteur en chef du journal, mais aussi à propos de Dan May, directeur du style. Comment sont répartis les rôles et comment travaillez-vous tous les trois pour faire de Mr Porter quelque chose d’aussi cohérent ?

T. Bateman: Techniquement Dan est responsable de la manière dont le produit est présenté sur le site, comment il est photographié et comment il est présenté,  que cela soit sur les pages produits, dans la partie éditoriale ou au sein des séries mode. Dan, Jeremy et moi travaillons ensemble de manière très rapprochée afin de déterminer la direction générale du site en termes de marques, produits, et de mode. C’est pourquoi, si vous passez 5 minutes sur Mr Porter, vous comprenez immédiatement, et vous comprenez parce que c’est un résultat auquel je crois, auquel Jeremy croit et auquel Dan croit. Du coup nous assistons tous les trois à tous les défilés, nous assistons à beaucoup de rendez-vous d’achats ensemble, et lorsque nous ne faisons pas cela, nous voyageons ensemble pour d’autres raisons. Nous passons beaucoup de temps ensemble, à parler de vêtements, de marques et du positionnement de Mr Porter en terme de mode, si nous voulons plus de produits traditionnels ou quoi que ce soit d’autre… C’est un travail d’équipe.


R.: Mr Porter est très actif sur les réseaux sociaux, est-ce important pour vous de communiquer avec les blogueurs ?

T. Bateman: Ce que je trouve intéressant quand je parle à des blogueurs ou que j’observe ce qui les intéresse, c’est qu’ils ne vont jamais s’arrêter sur des choses de tout simplement normales. Ils vont uniquement s’intéresser à quelque chose si c’est nouveau ou si cela a une caractéristique différentiante, qu’ils n’ont pas vue auparavant. Travailler avec des blogueurs, pour moi en tant qu’acheteur, m’aide à me focaliser sur de nouveaux produits, et cela me conduit à trouver des choses qui sortent du lot.


R.: On vous a longtemps présenté comme un grand magasin anglais, mais Mr Porter est plutôt international, non ?

Toby Bateman: Oui en effet c’est international, et le marché anglais n’est même pas notre plus grand marché. Il se trouve juste que nos bureaux se trouvent à Londres. Nous sommes tout de même aussi présent physiquement à Manhattan, à Hong-Kong et Shanghai. Nous sommes globaux, et nous essayons d’avoir un point de vue global sur tout ce que nous faisons.


R.: A part la traduction, prévoyez-vous d’autres adaptations régionales du site internet ?

Toby Bateman: Non, les bases ne changeront jamais. Ce sont les mêmes produits et le même contenu dans le monde entier. Donc si vous êtes en Chine, en France ou en Australie, vous verrez les mêmes interviews des mêmes personnes, la même veste Lanvin et vous verrez les mêmes jeans Levi’s.


R.: Et cela fonctionne bien avec toutes les cultures ? Par exemple, le Japon ou la Chine ont peut-être des approches différentes de l’achat de vêtements en ligne ?

T. Bateman: Le monde est devenu un endroit plus petit, et tout le monde voyage tellement aujourd’hui que les businessmen de  Russie, du moyen-orient, du Japon ou de Chine, tous passent beaucoup de temps à Londres, Paris, Berlin ou New-York… Pour notre clientèle, les goûts, la mode et le style de ces différents lieux est en train de devenir en quelque sorte beaucoup plus homogène.


R.: Vous avez été le directeur des achats du grand magasin anglais Selfridges, en quoi est-ce différent de travailler pour un grand magasin en ligne ?

Toby Bateman: Il y a des différences, mais pour l’instant je les trouve toutes positives. Je pense qu’il y a plus de possibilités lorsqu’on présente un produit en ligne que dans une boutique physique. Dans une boutique physique, si vous n’avez pas d’espace, il est impossible de faire rentrer quelque chose. Le seul moyen de faire de la place est de se débarrasser de quelqu’un. C’est de cette manière que l’on travaille en tant qu’acheteur pour un espace physique. Et cela ne veut pas dire que chez Mr Porter on va sur le marché et que l’on achète avec un budget illimité, mais si on trouve quelque chose de vraiment fantastique et que nous aimerions vraiment acheter pour l’inclure à notre sélection, alors on peut. C’est aussi un meilleur lieu pour parler de l’origine et de la qualité de ce que nous achetons, et le message est toujours le même. Dans le monde du commerce physique on est très dépendant de la rencontre d’un client avec un vendeur. Si vous rencontrez le meilleur vendeur du rayon costume, alors c’est une super expérience, mais si vous rencontrez le pire vendeur, alors l’expérience va être horrible. Sur Mr Porter cela sera toujours pareil, vous aurez les meilleures explications à propos des produits, vous verrez les meilleures photos de ce produit et vous le verrez assorti, je l’espère, de la meilleure manière que nous puissions le faire. Toutes ces choses veulent dire qu’il y a des opportunités infinies pour nous.


R.: Quelques boutiques en ligne pure-players ouvrent de petites boutiques physiques pour permettre de livrer les commandes, de montrer certains produits et de rencontrer leurs clients. Est-ce que quelque chose de similaire est prévu pour Mr Porter ?

Toby Bateman: Nous n’avons rien de tel de prévu pour l’instant. On est déjà bien concentré à être ce que nous sommes, c’est à dire une boutique en ligne. Notre service de livraison et de retour est tellement bon, mais vraiment, que nous n’avons pas vraiment besoin de faire cela.


Interview d'Olivier Polge – SpiceBomb

Olivier Polge, entouré de Viktor et Rolf (ou Rolf et Viktor ?)

Il y a quelques semaines, nous avons été invités par L’Oréal à assister au défilé homme de Viktor & Rolf ainsi qu’à une soirée organisée pour le lancement de leur nouveau parfum pour homme : SpiceBomb. Pourquoi L’Oréal ? Tout simplement parce que c’est le géant des cosmétiques français qui est derrière de nombreux parfums de marques de mode, telles que Maison Martin Margiela, Cacharel ou Armani par exemple, et cela inclus donc Viktor & Rolf

Faute d’une véritable culture dans le domaine, nous ne traitons pas assez sur redingote de l’univers riche, complexe et très intéressant de la parfumerie. C’est un monde de créations qui possède ses chefs d’oeuvres, ses artistes, ses artisans, ses machines de guerres commerciales mais aussi ses challengers indépendants. Un monde qui évolue souvent de pair avec celui de la mode, et qui comme celui-ci se laisse s’approprier et concerne tout le monde.

Le point fort de la soirée fut ma rencontre avec Olivier Polge, le parfumeur derrière la dernière fragrance masculine de Viktor & Rolf. Olivier Polge n’en est pas à son coup d’essai car il a déjà participé à de nombreuses créations, dont FlowerBomb et Dior Homme. En effet, les créateurs de mode n’ayant généralement pas les compétences techniques pour réaliser un jus, ceux-ci travaillent habituellement avec un ou plusieurs parfumeurs professionnels. Ceux-ci participent donc pleinement au processus d’élaboration de ce qui fait l’essence d’un parfum, mais restent en général dans l’ombre. Certains font tout de même parler d’eux, tel que Jean-Claude Ellena, le nez exclusif d’Hermès et auteur d’ouvrages autour de la parfumerie, ou alors Jacques Polge (le père d’Olivier Polge) qui est responsable des créations chez Chanel depuis plus de 25 ans.

Par l’intermédiaire de L’Oreal, nous avons pu poser quelques questions à Olivier Polge sur le métier de parfumeur et autour de la création de SpiceBomb. Les voici accompagnées de ses réponses.


Redingote : Est-ce que vous vous êtes toujours destiné à devenir parfumeur ?

Olivier Polge : Non, je me suis d’abord intéressé à d’autres domaines, comme l’histoire de l’art que j’ai étudiée avant de faire un stage de parfumerie en laboratoire, où j’ai découvert les matières premières. Ce fût le départ de ma vocation pour le métier de parfumeur.

Redingote : Quel type de formation est-ce que l’on suit pour faire ce métier ? Comment apprend-on les bases techniques nécessaires à la création d’un parfum ?

Olivier Polge : Pour moi l’idéal est de se former sur le tas, à partir de l’expérience qu’on acquiert en pratiquant. C’est un métier expérimental, c’est auprès d’un parfumeur et au contact des métiers de la parfumerie qu’on se forme vraiment.

R. : Est-ce courant d’apprendre ce métier sur le tas ?

O. P. : Même si l’on suit le cursus d’une école, c’est une fois au sein d’une société au cœur de la parfumerie professionnelle que l’on se forme.

R. : Vous avez reçu le prix international du parfum en 2009, qu’est-ce que cela symbolise pour vous ?

O. P. : Une récompense est toujours un honneur. C’est très agréable de recevoir un prix, c’est aussi une forme de reconnaissance de son travail.

R. : Pouvez-vous nous parler du jus de Spicebomb ?

O. P. : L’idée était d’offrir un pendant masculin à Flowerbomb. J’ai composé le parfum autour de l’idée d’une explosion d’épices. Deux accords se confrontent dans le parfum : le premier est un accord explosif, détonnant fait de notes épicées fraîches fusantes – élémi et poivre rose – et de zestes frais de bergamote et pamplemousse. Le second est un accord addictif, brûlant fait de notes vibrantes d’épices incandescentes – piment et safran –, des notes masculines du cuir et du tabac, et des notes boisées brutes du vétiver.

 

Le flacon de SpiceBomb

R. : Aujourd’hui, une grande partie de l’offre parfum est associée à des marques de mode, comment se passe en général la collaboration avec ces marques ?

O. P. : C’est très différent d’une marque à l’autre. Cela peut aller d’une indépendance totale vis-à-vis de la maison de mode jusqu’à une implication à toutes les étapes du projet.

R. : Dans le cas de Viktor and Rolf, comment cela s’est-il passé ?

O. P. : Viktor & Rolf sont très impliqués. Après Flowerbomb, ils sont revenus nous voir avec l’envie de créer une bombe pour les hommes. Ils ont fondé les bases du projet et évoqué le nom « Spicebomb », qui a été le point de départ de ma création. Ils sont ensuite venus régulièrement au cours du développement, afin de partager leurs commentaires, leurs préférences et afin que je puisse leur soumettre mes idées. La collaboration a été très stimulante et créative.

R. : Comment est-ce que cela se passe lorsque les créateurs sont impliqués dans la création d’un parfum ? Échangez-vous en termes d’odeurs, de notes, ou plutôt d’idées, de concepts, d’images ?

O. P. : Cela dépend du créateur en face de nous mais l’on s’accroche souvent à des images. Le premier travail dans tous les cas est de trouver un langage commun afin que nous soyons sûrs de nous comprendre correctement.

R. : En quoi consiste le métier de parfumeur au jour le jour ?

O. P. : Beaucoup de notre temps est consacré à sentir des matières premières, à élaborer de nouvelles formules, à les retravailler en redosant certains ingrédients, en en ajoutant de nouveaux. On tâtonne, on réévalue  et on peaufine ses créations au jour le jour.

R. : Où est-ce qu’un parfumeur trouve son inspiration ?

O. P. : Je dirai que comme un peintre se nourrit de peinture, un parfumeur se nourrit de parfums.

R. : Qu’appréciez-vous en terme de mode masculine ? Qu’aimez-vous porter ? Est-ce ce que cela vous inspire dans votre travail ?

O.P. : Personnellement j’aime une mode un peu stricte et construite. J’aime porter des costumes. Ce que je porte n’est pas une source directe d’inspiration dans mon travail. Je fais passer en premier l’idée de la marque et l’interaction avec les créateurs.

S.E.H Kelly – Interview

Nous vous avions parlé de S.E.H Kelly il y a un peu moins d’un an. Cette toute jeune marque anglaise a pour particularité, outre le fait qu’ils ne fasse confectionner leurs vêtements qu’au Royaume-Uni, de n’utiliser que des tissus et autres accessoires tissés et fabriqués sur place. Nous avions à l’époque été séduit par une telle démarche, qui a l’intérêt de pousser encore plus loin le concept d’une production locale de vêtement. Bien entendu nous aurions sûrement été moins intéressé si leurs produits ne nous plaisaient pas autant. Nous les avons rencontré il y a peu et leur avons poser quelques questions, l’occasion de revenir sur leur expérience et sur l’avenir de S.E.H Kelly. Cet article est illustré par des images provenant de la section Makers de leur site, mettant en valeur le travail de leur fournisseurs à l’aide de très belles photos. Ici une usine produisant des draps de laine, localisée dans le Yorkshire.

Redingote : Nous pensons que les gens s’intéressent de plus en plus à ce qu’ils consomment. Ils souhaitent savoir d’où viennent ces produits, comment ceux-ci ont été réalisés et par qui. Avez-vous remarqué un tel regain d’intérêt ?

S.E.H Kelly : C’est une des raisons qui nous a poussé à lancer S.E.H Kelly. Nous avions remarqué que les gens commencent doucement à s’intéresser à l’origine des produits. Qui a fait ca ? Et comment ? Est-ce que c’est vraiment de la qualité ? Est-ce qu’ils pourront porter ça toute leur vie ? Ce sont autant de questions auxquelles nous tentons d’apporter des réponses.

C’est pour cela que nos collections sont toutes petites, nous voulions proposer des produits simples, rien de trop guidé par les tendances. Uniquement des pièces que les gens pourront garder et porter durant des années, peu importe ce qui sera à la mode.

Lorsque nous écrivons à propos d’une nouvelle chemise ou d’une nouvelle veste, nous ne décrivons pas vraiment la manière dont celle-ci est cintrée ou comment elle va rendre son propriétaire cool. Nous préférons parler de la provenance du tissu et de ce genre de choses. Nous pensons que c’est plus intéressant, que cela a plus de valeur.

Pour nous il est aussi très important de parler des gens avec qui nous travaillons. Si ils en venaient à cesser leur activité ce serait alors très difficile de relancer cette industrie en Angleterre. Ce serait vraiment une grande perte. Par exemple nous travaillions avec une bonneterie qui a tout simplement disparu lors de nos deux premiers mois d’activité. Du jour au lendemain, nous n’avons plus eu aucune nouvelle d’eux.

Nous aimons particulièrement travailler avec des usines à Londres parce que nous pouvons aller les voir régulièrement : pour les rencontrer, voir ce qu’ils font et s’assurer que le niveau de qualité est conforme à nos attentes. D’autres fabricants avec qui nous travaillons au Royaume-Uni existent depuis des centaines d’années et nous avions travaillé avec eux sur Savile Row, donc nous connaissons leurs méthodes. Certains de leurs employés travaillent là-bas depuis plus de 30 ans, alors nous connaissons effectivement les personnes qui réalisent nos produits.

Ce sont vraiment eux les professionnels. On lit beaucoup de choses à propos des difficultés que rencontre le secteur en ce moment. Ils n’ont pas vraiment besoin de nous en fait. Dernièrement la demande a beaucoup augmenté, beaucoup de marques recommencent à produire au Royaume-Uni.

Redingote : Nous avons remarqué un véritable support pour cette industrie au Royaume-Uni, par exemple la campagne de sensibilisation « Save Our Skills » du magazine Drapers (sorte de « Journal du Textile » anglais). Avez-vous l’impression que les choses ont un peu changé ?

S.E.H Kelly : On a l’impression que beaucoup de marques réalisent que les consommateurs sont intéressés par des prduits premiums faits au Royaume-Uni. Certains de nos fournisseurs ne travaillaient qu’avec des marques traditionnelles, et maintenant les plus grandes chaînes de magasins veulent travailler avec eux. C’est surtout dû au prestige de proposer un produit Made in UK. C’est une très bonne chose pour les usines, nous espérons que cela va continuer.

Redingote : Vous avez décidé de ne travailler qu’avec des tissus ou accessoires provenant du Royaume-Uni . J’imagine que cela a un impact sur vos collections. De quelle manière cette contrainte influence-t-elle vos créations ?

S.E.H Kelly : Il y a des choses que nous ne pouvons pas faire. Certains tissus, par exemple, ne sont tout simplement pas disponibles ici. C’est le cas des tissus techniques mais il est aussi très difficile de faire fabriquer des T-shirt en jersey ici. Il y a peut-être une ou deux usines pour cela, mais elles ont des minimums de quantité élevés, ce que nous ne pouvons pas encore faire. Par contre au Royaume-Uni il est assez facile de trouver de la laine, du lin et de la soie.

Cela peut aussi avoir un bon côté d’être limité ainsi, cela force à être plus créatif. Nous avons été obligé de penser à des manières originales d’utiliser des tissus. Par exemple il est très facile de se procurer de la laine ou du cachemire ici, contrairement au coton ou plus généralement aux tissus pour chemises, c’est pour cela que certaines de nos chemises sont constituées d’un mélange de laine et de cachemire.

Redingote : Nous avons lu que Thomas Mason (un fabricant anglais historique de tissus pour chemises) avait délocalisé sa production ?

S.E.H Kelly : En effet, la production a été délocalisée en Italie. Cela veut dire qu’il nous a fallut réfléchir à d’autres tissus qui fonctionneraient pour fabriquer une belle chemise. Certaines de nos chemises sont bien plus épaisses que d’habitude car elles sont en partie constituées de cachemire. Le lin est toujours très bon au Royaume-Uni alors nous en utilisons aussi pour nos chemises.

Cela nous force aussi à collaborer de manière plus étroite avec nos fournisseurs. Nous avons travaillé sur des tissus exclusifs avec certains fabricants afin d’avoir plus de variété, plus de couleurs. Ce n’est pas quelque chose que nous nous serions embêtés à faire si nous avions eu accès à tous les tissus du monde.

Redingote : Quelle importance a votre expérience sur Savile Row dans votre travail d’aujourd’hui ?

S.E.H Kelly : Je n’ai pas vraiment appliqué les même styles, parce que je travaillais sur des pièces bien plus structurées, certaines plus casuals aussi, mais principalement des costumes. J’étais en charge du développement de produit pour la gamme prêt à porter d’une maison de Savile Row. Cela signifie que les designers m’apportaient leurs créations et que je devais développer les produits avec les usines. Certaines de ces usines sont totalement hors de notre portée maintenant, ils proposent des tissus à plus de 100 £ le mètre. Sur Savile Row il était possible de les utiliser parce que c’était vraiment du très haut de gamme. C’est intéressant parce que nous travaillons maintenant avec les mêmes usines, mais nous utilisons des tissus plus accessibles.

Redingote : Pour l’instant vos produits ne sont disponibles que sur votre site internet. Est-ce que vous projetez d’être distribués en boutique multi-marque ?

S.E.H Kelly : Nous avons discuté avec quelques magasins au début, des magasins dans lesquels nous aimerions bien être maintenant. Nous n’étions juste pas certains de pouvoir faire ceci tout en conservant des prix raisonnables. Nous allons peut-être venir à Capsule à Paris en janvier prochain, mais d’abord il nous faut travailler à diviser notre offre en différentes gammes de prix. Nous pourrons ensuite voir comment distribuer nos produits dans différents magasins.

Redingote : On ressent une forte inspiration workwear derrière votre dernière collection, comment cela va-t-il évoluer ?

S.E.H Kelly : Je pense que nous sommes en train de nous éloigner intuitivement du workwear.

Les produits sur lesquels j’ai travaillé au cours de mon expérience à Savile Row étaient totalement différents, c’était presque l’opposé. Utiliser des tissus et matières premières provenant de ce monde pour les appliquer sur des styles complètement différents était très intéréssant.

Quoiqu’il arrive, nos collections seront toujours composées de produits simples dans des couleurs plutôt neutres.

Pour la prochaine collection, quelques pieces sont influencées par un côté plus tailoring, certaines pièces d’extérieur font penser à certaines des pièces les plus casual sur lesquelles j’ai pu travailler sur Savile Row. Evidemment nous ne metterons pas d’épaulettes ou quoique ce soit de trop structuré, cela restera donc assez proche de ce que nous faisons déjà.

Ce qui est bien avec le workwear c’est l’aspect fonctionnel des pièces : Où disposer les poches ? Quelles profondeur celles-ci doivent-elles avoir ? Mais cela n’est pas uniquement important pour le workwear, et nous pensons constamment à ceci lorsque nous concevons nos collections.

Hentsch Man – Interview

Alexia Hentsch – Co-fondatrice de la marque Hentsch Man

La semaine dernière, nous vous avions parlé de la boutique Hentsch Man à Soho. Etant intéressés par ce projet, nous avons eu envie d’en savoir un peu plus au sujet de l’expérience d’Alexia. On espère que ça inspirera certains jeunes entrepreneurs à passer le pas et prendre quelques risques. Plus on est de fous plus on rit comme on dit. Merci beaucoup à Alexia d’avoir pris le temps de répondre à nos questions et bonne chance pour l’ouverture de la prochaine boutique!

Toutes les photos de cet article, sauf celle d’Alexia que nous avons photographié, viennent du site de Hentsch Man, ici pour être précis. Ce sont des photos des amis d’Alexia et de Max, portant les vêtements de la marque dans leurs vie et travail de tous les jours. Une manière originale et amusante de présenter des produits dans un contexte différent.


Redingote: Qu’est-ce qui a été le plus difficile lors de la création de votre marque?

Alexia Hentsch: La partie la plus difficile lors d’une création de marque est que vous vous retrouvez à faire plein de métiers différents en même temps. J’ai commencé comme styliste, puis rapidement, je me suis retrouvée à faire de la comptabilité, écrire des business plan, faire du Branding, du stylisme, etc. C’est dur de suivre!

R: Est-ce plus dur de travailler avec un ami proche, ou est-ce que ça rend les choses plus faciles?

AH: Partager les tâches rend les choses beaucoup plus faciles. Je pense que Max et moi sommes très doués pour réussir à différencier le travail de notre amitié… Cela dit, quand nous travaillons, il nous arrive d’avoir de bons désaccords!

R: Avez-vous eu du mal à trouver la main-d’œuvre nécessaire en Europe pour votre marque?

AH: Pas du tout – Il y a de très bons talents ici. L’Europe a une très belle et ancienne tradition en ce qui concerne la production locale. Cela peut être plus cher qu’ailleurs, mais le savoir-faire et la qualité sont bien présents.


Jose Guera


R: Pensez-vous que si toutes les marques européennes commencent à produire une petite partie de leurs créations en Europe nous pourrions sauver l’héritage que nous avons concernant l’artisanat et le savoir-faire de production?

AH: Chaque petit effort est utile! Même si je pense qu’il faudrait que certaines des plus grosses marques ramènent leurs productions en Europe pour faire du vrai volume.

R: Comment votre expérience chez Wallpaper et Winkreative a-t-elle influencé vos créations pour Henstch Man?

AH: Travailler chez  Wallpaper et Winkreative était impératif avant de pouvoir lancer Hentsch Man. Cela a été la meilleur école de Branding. J’y ai appris à combiner photographie, images et écriture afin de vraiment réussir à faire passer un message. Je pense que c’est vraiment le meilleur endroit où j’aurais pu apprendre tout ça.
J’y ai aussi rencontré des personnes très talentueuses, ce qui était crucial pour pouvoir lancer la marque et cela m’aide encore aujourd’hui.



Rudi Weissenberg


R: Vous venez de Sao Paolo, vous avez grandi à Genève, fait vos études à New York et êtes venue travailler à Londres. Cela fait pas mal de voyages. Est-ce que tous ces endroits vous ont inspiré à créer Hentsch Man?

AH: Oui, je pense. Comme tout le monde, ce que nous faisons et qui nous sommes est toujours un produit d’où l’on vient et de ce que l’on a vu. J’imagine donc qu’il y a un peu de chacun de mes voyages dans Hentsch Man.

R: Quelle est la prochaine étape pour la marque?

AH: Nous travaillons sur un gamme d’accessoires pour la marque, des chaussures en particulier. Nous allons aussi ouvrir notre première boutique permanente à Londres cet Automne, ce qui est aussi très excitant.

R: Avez-vous des conseils à donner aux jeunes entrepreneurs qui souhaiteraient également monter leur propre marque?

AH: Trouvez un bon partenaire qui a des compétences complémentaires aux vôtres. C’est important de pouvoir partager le travail!



Tristan Hoare

Saadi Soudavar

JD Brett

Jamie Allsoop

Hugo Tillman

Lorcan O’Toole

Alban de Pury

Rodolph von Hofmannsthal

Rodman Primack

Nikolai Hentsch

Fahad Farmaian


Brian Robinson

D.S. Dundee – Interview


Jim Pickles et Oliver Pilcher – Fondateurs de D.S. Dundee

Nous vous avions parlé, il y a deux semaines de cela, de la marque D.S. Dundee. Étant curieux d’en savoir plus sur l’origine, la philosophie et l’organisation de la marque nous avons posé quelques questions à Oliver Pilcher, co-fondateur de la marque avec Jim Pickles.
Apparemment, la marque a également plu à French Trotters où une sélection de la collection A/H 2010 est disponible depuis le 25 Novembre. On ne s’attendait honnêtement pas à voir la marque arriver de si tôt en France, ce qui n’est pas pour nous déplaire.
Merci à Oliver et Jim, nous avons beaucoup appris de leurs réponses. Pour information, l’interview a été réalisée en anglais puis traduite en français.


Redingote: Nous avons trouvé très peu d’information concernant la marque sur votre site ou sur votre blog. Nous sommes curieux, comment tout a-t-il commencé?

Oliver: D.S.Dundee a débuté en 1994 quand je travaillais en tant que modéliste dans l’usine de ma mère. (Elle a fondé l’enseigne de vente par correspondance « Pedlars »).
Je travaillais avec des techniciens très talentueux et j’ai commencé à développer quelques designs avec eux.
On produisait alors certains de ces designs en petite série, puis, je prenais la route d’Edinburgh et de Glascow pour essayer de les vendre dans des petites boutiques.


R: Vous avez créé votre marque avec votre associé, Jim Pickles. Quels sont vos rôles au sein de la marque?

O: Jim et moi nous sommes rencontrés quand on avait 18 ans, juste après avoir quitté le lycée. Nous avions des centres d’intérêts similaires et sommes ainsi devenus bons amis.

Pendant ce temps, j’essayais de garder D.S. Dundee à flots en vendant des petites séries de jeans, t-shirts, et pantalons cargo. Jim m’aidait pour les shoots photos et pour le financement de différents projets. Maintenant j’ai le rôle de directeur de création/photographe et Jim est directeur exécutif. Il s’occupe principalement de développer le réseau de distributeurs. Il y a bien sûr beaucoup de nos responsabilités qui s’entrecoupent et il nous arrive régulièrement d’effectuer la vente au magasin tout comme de passer du temps au studio pour la mise au point d’un nouveau modèle de veste.

Une fois nos études finies, j’ai déménagé à NYC et Jim à Tokyo.

Je suis devenu photographe. Jim était professeur d’anglais et s’est ensuite tourné vers la finance quand il est rentré à Londres en 2002.

Quand je suis retourné à Londres fin 2006, Jim ne voulait plus travailler dans une grosse banque de la City, il a tout laissé tomber et nous nous sommes remis à travailler ensemble sur D.S. Dundee.


R: Faîtes-vous tout le stylisme vous-mêmes?

O: Non, nous avons une super équipe de stylistes à notre studio de Dalston, dans l’est de Londres. Abdullah Kok est notre tailleur en chef et modéliste. Il est la clef de voûte de notre entreprise. Elizabeth Reeds est notre styliste senior. Elizabeth a un master de stylisme pour homme à RCA (Royal College of Arts) et a travaillé pour un certain nombre de marques haut-de-gamme auparavant dont Polo, 6876 et Cole Haan. Matthew Johnson est notre apprenti tailleur/assistant styliste et a déjà apporté de bonnes idées. Nous sommes aussi très enthousiastes de l’arrivée de Ayo Blake qui va être en charge de notre gamme de sacs de voyages et de maroquinerie que nous espérons lancer pour P/E 2012.


Vitrine D.S.Dundee chez FrenchTrotters à Paris 1/3


R: D’où tirez-vous votre inspiration? Avez vous des icônes qui vous inspirent?

O: Je pense que mon inspiration vient de l’observation des matières. Une fois que j’ai une magnifique pièce de tissu dans les mains, je peux commencer à réfléchir… Celle-ci ferait un très beau par-dessus, ou quelque chose du genre. J’adore les détails également. De bonnes fermetures éclair, de bons boutons, des languettes de bonne qualité, ce genre de choses.


R: Vos noms n’ont pas vraiment de points communs avec D.S. Dundee. D’où vient le nom de la marque?

O: J’ai essayé plusieurs noms avant qui ont semblé très mal vieillir. Je me suis dit que si je l’appelais comme une ville d’Écosse (celle où je suis né), cela donnerai une dimension de permanence. Le D.S. vient de notre devise en latin « destino signum » qui signifie « garant des standards de la création ». (Les initiales donne un bon look au nom et lui ont ajouté un cachet mystique!).


R: Quelle est votre pièce préférée?

O: J’aime les costumes en tweed. Je pense que notre coupe est très belle et que les tweeds sont parfaits pour cette saison.


R: J’ai remarqué que vous faisiez du co-branding avec Robert Noble pour les vestes en tweed. Est-ce que vous faîtes également des partenariats similaires avec d’autres produits?

O: Nous avons fait une veste géniale cette saison avec la fabrique de Harris Tweed… Nous travaillons également étroitement avec Lovat Mills à Hawick. Nous adorons les gens là bas, ils tissent un tweed magnifique. Les bottes et les chaussures sont faites chez Joseph Cheaney & Sons, un des meilleurs fabricants de chaussures au Royaume-Uni. Nous ne mettons pas les deux marques sur les chaussures mais nous n’en faisons pas un secret non plus. C’est très agréable de travailler avec quelques-uns des meilleurs artisans au Royaume-Uni.


Vitrine D.S.Dundee chez FrenchTrotters à Paris 2/3


R: D’après ce que j’ai pu voir, vos produits sont d’une qualité exceptionnelle. Comment choisissez-vous vos fournisseurs?

O: On fait principalement le tour du Royaume-Uni en voiture pour rencontrer les usines et voir ce qu’elles peuvent faire. Nous recevons parfois des recommandations, nous demandons alors des échantillons et les faisons ensuite analyser par notre tailleur qui connait vraiment bien son métier.


R: Sont-ils tous situés au Royaume-Uni ou en Europe?

O: Ils sont tous situés au Royaume-Uni et en Europe. Principalement le Royaume-Uni, le Portugal et l’Italie.

L’exception étant notre nouvelle collection de denim que nous lançons au P/E 2011. C’est du denim selvedge japonais.


R: Le « made in UK » semble avoir beaucoup d’importance au Royaume-Uni. Certaines marques plutôt récentes comme Albam ou S.E.H Kelly ont trouvé une place sur le marché en suivant cette tendance. Pensez-vous que cette tendance va durer et que plus de marques vont ouvrir?

O: J’espère que cela va continuer étant donné que cela encouragera les producteurs du pays à investir comme leurs homologues européens dans de véritables équipements de pointe et d’adopter également une approche professionnelle identique. Le problème principal ici est d’attirer de la main d’œuvre plus jeune dans les usines. Le gouvernement devrait encourager ce genre de profession. Plus il y aura de marques qui fabriqueront au Royaume-Uni, plus les usines auront une chance de survivre.


R: Avez vous des raisons d’être déçu du marché de l’habillement?

O: Non pas vraiment. Cependant il nous est arrivé de rencontrer des gens décevants dans ce milieu…



R: Avez-vous un souhait en particulier concernant l’évolution de la mode masculine et de son marché?

O: Pas vraiment. J’ai envie de faire du vêtement féminin aussi vite que possible afin que l’on puisse vraiment gagner de l’argent! Aussi – Cela serait bien si les hommes commençaient à faire les magasins avec conviction, à penser qu’ils ont de l’allure dans des vêtements, sans avoir besoin d’emmener leurs copines et leurs femmes pour leur dire!


Vitrine D.S.Dundee chez FrenchTrotters à Paris 3/3


R: Vous venez juste d’ouvrir votre premier magasin en propre au 18, Lamb Street à Londres. Comment étiez-vous distribués auparavant?

O: Nous avons des agents géniaux aux USA et au Japon ce qui nous a permis d’y être distribué depuis deux saisons. À part ça, cela passait seulement à travers notre site et quelques magasins au Royaume-Uni qui nous sont fidèles.


R: Quels sont vos projets pour la marque dans un futur proche? Peut-on s’attendre à de nouveaux produits ou à de nouveaux magasins?

O: Maillots de bain. Sacs de voyage. Bikinis. Produits de soin, denim, whisky. Nous commençons à vraiment faire des expériences avec les tweeds en les huilant et les lavant jusqu’à aboutir à quelque chose de visuellement fort avec un touché incroyable.

Nous aimerions ouvrir un autre magasin à Londres pour l’A/H 2011. Un magasin à NYC d’ici 3 ans.


R: Nous aimons beaucoup votre marque, d’où cette dernière question: quand verra-t-on votre marque arriver en France?

O: La semaine prochaine (25 Novembre). Nous aurons une collection capsule de l’A/H 2010 disponible chez FrenchTrotters à Paris à temps pour Noël!

Nous présenterons également l’A/H 2011 au salon (Capsule) à Paris le 22,23 et 24 Janvier.


R: Merci!


Nigel Cabourn – Interview




La rédaction du précédent article sur Nigel Cabourn nous a donné envie d’en savoir plus. Heureusement, Nigel Cabourn a bien voulu répondre directement à nos questions sur ses précédentes expériences, ses sources d’inspiration ainsi que sur la démarche d’approvisionnement de la marque. Nous avons recueilli ces informations en anglais, donc afin de ne pas dénaturer les propos recueillis tout en les rendant accessibles au plus grand nombre de nos lecteurs nous avons opter pour une traduction tout en laissant la version originale de l’interview dans la version anglaise.


Redingote: Quelle a été l’idée qui a donné naissance à Cricket Clothing Limited ?

Nigel Cabourn: J’ai commencé Cricket Clothing Ltd alors que j’étais encore étudiant en école de mode en 1971. A cette époque, c’était plus cool d’avoir un nom d’entreprise plutôt qu’un nom de styliste. J’ai commencé avec Cricket car ce sport m’intéressait particulièrement et j’ai pensé que ça irai parfaitement comme nom de marque. D’ailleurs, les premières créations que j’ai faites en 1971 ressemblaient à une veste de cricket !


R: Est-ce que vous suiviez la même politique de sourcing que celle de la marque Nigel Cabourn, c’est à dire de fabriquer autant que possible en Angleterre ?

N C: En 1971, en tant qu’étudiant en mode sortant de l’école, je n’avais pas d’autres choix que de créer ma ligne de vêtements en Angleterre. C’était la seule possibilité à l’époque. Aujourd’hui, la marque Nigel Cabourn reste attachée à la production en Angleterre, et ceci en utilisant des matières originaires de Grande-Bretagne. Je pense qu’on pourrait dire que cette marque suit la même politique de sourcing que la précédente, mais les choses ont beaucoup changé.


R: Quand et comment vous est venu l’idée de créer la marque Nigel Cabourn telle que nous la connaissons aujourd’hui ?

N C: Comme vous le savez, la marque Nigel Cabourn d’aujourd’hui est issue de ma volonté de recentrer l’activité de l’entreprise en 2002. Cette année là, j’ai décidé que j’en avais marre de faire des produits commerciaux et de me concentrer sur des collections spéciales en édition limitée. Cela a commencé avec la collection Everest. J’ai eu un tel succès avec cette collection, notamment au Japon, que j’ai décidé de continuer et de créer des collections faites en Angleterre avec des matières provenant de Grande-Bretagne, de grande qualité et possédant une réelle intégrité.


R: Vos produits sont assez techniques et peuvent demander une certaine culture du vêtement pour être appréciés. Avez-vous trouvé cela difficile de trouver une clientèle au début ?

N C: Je n’ai eu aucun problème à trouver de nouveaux clients pour la nouvelle marque Nigel Cabourn. Ceci est dut au fait que nous avons fait coïncider le lancement de la marque en 2003 avec le 50ème anniversaire de la conquête de l’Everest par Sir Edmund Hillary. Nous avons fait une exposition au Japon et tout est parti de là. J’ai une importante clientèle pour ce type de produit. Au cours des quatre dernières années, je l’ai vraiment développé en ce qui concerne les vêtements uniques.


R: Trouvez vous que le workwear et les prix élevés font bon ménage ? Ne pensez vous pas que vendre des produits inspirés par le workwear ou les vêtements militaires à des prix élevés revient à s’éloigner de leur usage principal ?

N C: Il n’y a aucun problème à ce que du workwear ou du vêtement militaire soit vendu à des prix élevés. Personne ne s‘en soucie vraiment tant que le vêtement est beau, bien fait et de la plus haute qualité. Après tout, nous ne faisons que 100 à 300 pièces par modèle, ce qui nous permet d’avoir une offre très unique sur le marché.


R: Pouvez-vous nous expliquer où vous trouvez votre inspiration pour créer un vêtement ?

N C: L’inspiration pour créer un vêtement vient principalement de ma collection de 3000 à 4000 vêtements vintage ainsi que d’ouvrages d’occasion. La totalité de mon inspiration vient de là, et ce à chaque saison.


R: Pouvez-vous nous parler brièvement de votre passion et de la manière dont vous vous procurez des objets aussi rares ?

N C: J’ai une énorme passion pour les vieux vêtements. Je porte une attention toute particulière aux détails et à la matière et c’est ce qui m’intéresse dans les vêtements rares que je réunis au travers de mes voyages autour du monde.


R: Nous apprécions beaucoup votre volonté de produire autant que possible en Angleterre pour la ligne « Authentic » et au Japon pour la collection « Mainline ». Ne trouvez vous pas cela difficile de trouver tous les éléments nécessaires à la production d’un vêtement au même endroit ?

N C: Non, je n’ai aucun problème à produire Authentic et à faire produire Mainline au Japon. La clé est de travailler avec ce qu’il y a de disponible dans chacun des deux pays et de ne pas tenter de créer des choses qui n’y existent pas.


R: Pourquoi avoir décider d’ouvrir le seul magasin Nigel Cabourn, The Army Gym, au Japon et pas en Angleterre ?

N C: Pour être honnête, j’avais déjà mon propre magasin à Londres il y a 15 ans de cela. A cette époque, nous vendions des produits commerciaux. J’ai décidé d’ouvrir le magasin au Japon car il y a énormément de gens qui s’intéressent à ce que je fais là bas. De plus, je savais qu’un succès serait beaucoup plus appréciable étant donné l’amour des japonais pour les vêtements authentiques et originaux. C’est pour cela que nous avons ouvert « the Army Gym » là bas et nous battons des records de ventes chaque semaine.


Un grand merci à Nigel Cabourn de nous avoir accorder un peu de son temps. Ci-dessous des visuels de la collection automne-hiver 2010, dont certaines pièces sont en vente chez FrenchTrotters.


cabourn.com