Messengers Style

IMG_1025 2

Bippers et lunettes aérodynamiques

Alors que la mode a tour à tour pillé toutes les décennies du 20ème siècle pour les digérer, les re-mixer et les ré-interpréter, le curseur semble aujourd’hui s’être arrêté sur les années 90 : les pages de magazines voient se côtoyer sportswear italien à logo, sacs banane en bandoulière et minimalisme sobre à la Margiela.
Alors pour être sûr de conserver une longueur d’avance sur Anna Wintour et sa bande, attaquons-nous dès maintenant au début des années 2000 en scrutant ce bel ouvrage édité au tournant du siècle, époque bénie où il était de bon ton de porter les cheveux fluos et en pics, et où un piercing à l’arcade était considéré comme une ultime coquetterie.
Messengers Style propose une incursion photographique dans le monde des coursiers new-yorkais de l’époque, soit une éternité avant que cette sous-culture ne deviennent une tendance globale et que les pignons fixes n’envahissent les villes du monde entier.

Ce livre nous permet donc d’apprécier les looks de quelques coursiers de l’époque, mixant avec panache influences rock, streetwear, culture cycliste, technicité et utilitarisme.
C’est peut-être de ce genre de fabuleux mix-and-match dont devraient prendre comme inspiration les marques visant le marché du commuting (Levi’s Commuter ou Rapha par exemple) qui peinent à nous faire entrer dans leurs pièces qui n’ont ni l’efficacité technique des vêtements dédiés au cyclisme ni le style ou la démarche inspirante des marques que l’on apprécie.
Direction le site du photographe pour apprécier d’autres clichés.

Messengers Style
Photos par Philippe Bialobos
Intro par Valerie Steele
Assouline

IMG_1034 2 Lire la suite

Boris Vian – Trouble dans les Andains

Boris Vian

Chapitre I – Adelphin dans ses grolles

« Le Comte Adelphin de Beaumashin passait une chemise blanche devant son Mirophar-Brot qui resplandissait de feux convergents. Il y avait ce soir-là grand raout chez la Baronne de Pyssenlied et Adelphin, désireux de paraître à son avantage, avait fait préparer par Dunoeud, le valet modèle, son frac numéro un, qu’il n’endossait que dans des circonstances exceptionnelles. L’habit gisait, bleu nuit, sur le pied du large divan recouvert d’une peau d’ours de Barbarie achetée par Adelphin lors d’un voyage de découverte en République d’Andorre. Les revers de soie mate luisaient d’un doux éclat et la ganse du pantalon au pli impeccable tranchait dans toute sa longueur le fourreau guibollaire prêt à être passé. Dunoeud n’avait point oublié le léger papillon d’une virginité entière dont la pose prochaine allait parachever la perfection d’une toilette savamment comprise dans sa recherche qui n’excluait pas cette presque simplicité tolérable seulement chez les individus solidement constitués et les mal bâtis au portefeuille abondant.

C’est ainsi qu’Adelphin mettait des souliers jaunes. »

 

Chapitre II – Le jaune est une couleur

« Platon, dans un pamphlet resté fameux paru vers 1792, formule en quelques phrases bien pensées sa conception de l’univers. Il se résume pour lui à l’écran d’une espèce de cinéma sur lequel se projettent des ombres animées que d’aucuns prennent pour réalité quand la réalité se trouve en réalité derrière eux. Partant d’une idée analogue, Adelphin s’était dit : pourquoi pas des souliers jaunes si je ne me montre qu’à contre jours ? Il avait donc décidé de ne se montrer qu’à contre-jour, tâche relativement aisée si l’on réfléchit que, sous nos latitudes, elle est facilitée la moitié du temps par l’absence de jour, que l’on appelle communément la nuit, phénomène au cours duquel le jour et le contre-jour se rejoignent avec régularité. D’ailleurs les souliers, quoique jaunes, étaient parfaitement adéquats à l’ensemble de la tenue du Comte, qui posait sur sa chevelure rousse une casquette grises à pois mauves et s’enveloppait d’une ample cape de velours cramoisi (à l’intérieur) soutachée d’herminette et de besaiguë, et doublée extérieurement des milliers de draps noirs formant la matière constitutive des milliers de capes noires, qui, le soir, voltigent à quelques pouces des omoplates de milliers d’hommes du monde. Sous sa cape de drap noir (et, à l’intérieur, de velours cramoisi) Adelphin portait beau. Ainsi, saisissant une canne à pommeau de bruyère culottée électriquement il se baissa d’un coup sec et ramena du fin fond d’un recoin sub-pajotique le bouton de col qui lui avait échappé comme il se déshabillait deux jours auparavant. »


Untold stories par Ray Ban

La dégaine des politiques, c’était quand même autre chose…


On l’a vu ces dernières saisons avec l’héritage dans tous les sens, les vieilles maisons auront toujours l’avantage de pouvoir utiliser leur patrimoine culturel pour communiquer ou rééditer des pièces et imaginer de nouveaux produits. Ray-Ban fête son 75eme anniversaire cette année et ressort donc de ses vieux casiers quelques photos d’archives inédites au détour d’un livre: « Legends: Untold stories ». Vous y retrouverez Marilyn Monroe, James Dean, Bob Dylan, Sean Penn, Madonna ou encore John F. Kennedy portant les montures fameuses de la marque légendaire. Le monde de la lunette étant très concurrentiel (on assiste à la création de plusieurs petites marques qui développe des produits très corrects tous les ans), on comprend tout de suite l’intérêt de la démarche: on met le produit en scène pour créer un peu le mythe et faire dire à son client « j’ai les mêmes lunettes que James Dean et Kennedy ». Ne dites pas le contraire, on aime tous jouer à l’anecdote avec ce genre de trucs. Évidement il est prévu une sortie en fanfare avec des exemplaires limités, numérotés et tout le tintouin avec une distribution triée sur le volet. Que voulez vous, on ne sait plus faire les choses simplement. Merci Wad et à Ray-Ban pour les photos !

Nicolas Gogol – Le Manteau

« Il ne pensait pas à s’habiller. Son uniforme, qui était originellement vert, avait tourné au rouge ; sa cravate était devenue si étroite, si recroquevillée, que son cou, bien qu’il ne fût pas long, sortait du collet de son habit et paraissait d’une grandeur démesurée, comme ces chats de plâtre à la tête branlante que les marchands colportent dans les villages russes pour les vendre aux paysans. Il y avait toujours quelque chose qui s’accrochait à ses vêtements, tantôt un bout de fil, tantôt un fétu de paille.

Il avait aussi une prédilection toute spéciale à passer sous les fenêtres juste au moment où l’on lançait dans la rue un objet qui n’était rien moins que propre, et il était rare que son chapeau ne fût orné de quelque écorce d’orange ou d’un autre débris de ce genre. Jamais il ne lui arrivait de s’occuper de ce qui se passait dans les rues et de tout ce qui frappait les regards perçants de ses collègues, accoutumés à voir tout de suite sur le trottoir opposé à celui qu’ils suivaient un mortel en pantalon effilé, ce qui leur procurait toujours un contentement inexprimable. Akaki Akakievitch, lui, ne voyait que les lignes bien droites, bien régulières de ses copies et il fallait qu’il se heurtât soudainement à un cheval qui lui soufflait à pleins naseaux dans la figure, pour se rappeler qu’il n’était pas à son pupitre, devant ses beaux modèles de calligraphie, mais au beau milieu de la rue. »

[…]

« Depuis quelque temps Akaki avait dans le dos et dans les épaules des douleurs lancinantes, quoiqu’il eût l’habitude de parcourir au pas de course et hors d’haleine la distance qui séparait sa demeure de son bureau. Après avoir bien pesé la chose, il aboutit définitivement à la conclusion que son manteau devait avoir quelque défaut. De retour dans sa chambre, il examina le vêtement avec soin et constata que l’étoffe si chère était devenue en deux ou trois endroits si mince qu’elle était presque transparente ; en outre, la doublure était déchirée. Ce manteau était depuis longtemps l’objet incessant des railleries des impitoyables collègues d’Akaki. On lui avait même refusé le noble nom de manteau pour le baptiser capuchon. Le fait est que ce vêtement avait un air passablement étrange. D’année en année, le collet avait été raccourci, car d’année en année le pauvre titulaire en avait retranché une partie pour rapiécer le manteau en un autre endroit, et les raccommodages ne trahissaient pas la main expérimentée d’un tailleur. Ils avaient été exécutés avec autant de gaucherie que possible et étaient loin de faire bel effet. Quand Akaki Akakievitch eut achevé ses tristes explorations, il se dit qu’il devait sans hésiter porter son manteau au tailleur Petrovitch qui habitait au quatrième une cellule toute sombre. »


La nouvelle complète est consultable ici, et est disponible ici.

Camille Saint-Saëns, "un artisan de génie"

On lui reproche souvent son manque d’originalité ou son manque de génie musical (reproches évidemment liées à son obsession pour la forme). Certains de ses détracteurs allaient même jusqu’à l’ignorer complètement. Dans ce sens, on apprend dans l’ouvrage de Jacques Bonnaure «Saint-Saëns» que Romain Rolland notait en 1907 que l’on pouvait parler des heures de musique française avec des musiciens français sans que fût cité une seule fois le nom de Saint-Saëns. Il faut dire qu’à cette époque, Camille Saint-Saëns avait en face de lui Debussy qui était en train de révolutionner la musique.

Mais si l’oeuvre de Saint-Saëns n’a pas fait avancer le langage musical, son génie se trouve dans la forme, son savoir-faire et son écriture irréprochable.
Il disait lui-même :
«Pour moi l’art c’est la forme. L’expression, la passion, voilà qui séduit avant tout l’amateur. Pour l’artiste, il en va autrement. L’artiste qui ne se sent pas pleinement satisfait par des lignes élégantes, des couleurs harmonieuses, une belle série d’accords, ne comprend pas l’art. Pendant tout le XVIe siècle on a écrit des oeuvres admirables dont toute émotion est exclue.»1

Sa vision de l’art qu’il expose ici par écrit sera son mot d’ordre et il s’y conformera toute sa vie. Pour lui, une oeuvre ne pouvait pas être écrite sans s’attacher à la forme et à la tradition. Il avait une méfiance extrême pour l’expression. Or Camille Saint-Saëns nait à l’époque romantique et va connaître la rupture qui donne lieu à l’époque moderne. Il sera toute sa vie en décalage avec sont temps, comme le dit Jacques Bonnaure, « jeune il ne fut jamais romantique, vieux il ne fut jamais moderne ».

Mais il ne faut pas oublier que le travail de Saint-Saëns a permis l’intégration de formes en France qui étaient réservées jusqu’alors aux compositeurs d’outre-Rhin. En effet, l’oeuvre de Saint-Saëns a par exemple réussi à redonner un élan à la musique symphonique qui avait tendance à s’essouffler au milieu du XIXe siècle.

Finalement, la musique de Saint-Saëns est artisanale avec une maitrise absolue et un savoir-faire traditionnel. Il fut l’un des derniers représentant de cet aspect artisanal de la composition qui était la norme jusqu’au début du XIXe.

Pour illustrer cet article : la symphonie n°3 « avec orgue ». L’orchestration y est assez chargée avec notamment un piano (joué à 4 mains) et un grand-orgue, mais ces deux instruments ne jouent cependant pas du tout comme solistes. Pierre Cochereau, le fameux organiste de Notre-Dame de Paris avouait d’ailleurs lors de l’enregistrement de la symphonie n°3 sous la direction de Karajan, que l’orgue ne servait dans cette oeuvre qu’à « planter quelques clous » !

Audio clip: Adobe Flash Player (version 9 or above) is required to play this audio clip. Download the latest version here. You also need to have JavaScript enabled in your browser.

Je recommande chaudement le très bel ouvrage de Jacques Bonnaure « Saint-Saëns » sorti en septembre dernier qui est remarquable. Il rend un hommage admirable au compositeur qui à bercé mes toutes jeunes oreilles avec son « Carnaval des animaux »…

1- citation extraite du livre « Saint-Saëns » de Jacques Bonnaure.

Blake et Mortimer – So british since 1946


On parle beaucoup de stars du cinéma comme icônes. Steve McQueen, James Dean et consorts reviennent souvent comme exemple sur les blogs traitant de mode ou de vêtement. On aime aussi beaucoup ce côté du cinéma, mais les personnages de bande dessinée ont également leur place en tant que représentant d’un style. Que ce soit le Corto Maltese de Hugo Pratt, incarnant le style du marin baroudeur, Tintin et son pantalon cinq poche dont il était question dans le documentaire « Jeans, une planète en bleu » ou Blake et Mortimer et leur influence english upper class, ces personnages ont marqué leur époque.

L’actualité autour du nouvel album des aventures de Blake et Mortimer, « La malédiction des trente deniers », nous donne l’occasion de revenir sur ces deux personnages qui m’ont personnellement fait passer plus d’une nuit caché à lire sous la couette après l’extinction des feux obligatoires étant petit.




Les deux compères, Sir Francis-Percy Blake et Philip-Edgar-Angus Mortimer, tous deux issues des prestigieuses universités que sont Eton et le M.I.T, traversent le globe de long en large afin d’élucider les plus grands mystères souvent pimentés par les plans diaboliques du mystérieux Colonel Olrik. Mélange de roman policier, d’Histoire et de science-fiction, les deux personnages déjouent pièges, énigmes et complots, pipe à la bouche et tirés à quatre épingles dans la mesure du possible.

Pulls marins, chinos, vestes en tweed, vestes militaires, trenchs, nœuds papillons et j’en passe, bien que l’aventure de cette dernière édition se passe en 1955, nos héros semblent tout à fait dans l’air du temps et pourraient inspirer plus d’une tenue.

Depuis l’époque d’Edgar P. Jacobs, le créateur des aventures de Blake et Mortimer, les choses ont bien changé. Les réunions en librairie pour parler BD ont donné naissance à des forums pour passionnés et le marketing est rentré dans la danse avec des partenariats de plutôt bon goût puisque un des sponsors n’est autre que le célèbre constructeur de voitures anglaises, Morgan.

Les scénaristes de la bande dessinée se relaient depuis la mort de Edgar P. Jacobs. Le dernier en date étant le célèbre Jean Van Hamme (XIII, Thorgal, Largo Winch) qui signe son cinquième numéro de la série et avoue par la même occasion s’être inspiré généreusement de Indiana Jones pour écrire son scénario. Cela n’altère en rien le résultat, une aventure où l’on retrouve tous les codes de la série avec peut-être quelques évidences dans le scénario, mais concernant les codes vestimentaires, on est ravit.

Si la série vous passionne ou que vous êtes juste curieux d’en savoir plus, un blog est dédié aux actualités liées aux deux personnages et le site officiel nous en apprend beaucoup sur leurs histoires et leurs univers. Bonne lecture!


Diderot – Regrets sur ma vieille robe de chambre

« Pourquoi ne l’avoir pas gardée ? Elle était faite à moi ; j’étais fait à elle. Elle moulait tous les plis de mon corps sans le gêner ; j’étais pittoresque et beau. L’autre, raide, empesée, me mannequine. Il n’y avait aucun besoin auquel sa complaisance ne se prêtât ; car l’indigence est presque toujours officieuse. Un livre était-il couvert de poussière, un de ses pans s’offrait à l’essuyer. L’encre épaissie refusait-elle de couler de ma plume, elle présentait le flanc. On y voyait tracés en longues raies noires les fréquents services qu’elle m’avait rendus. Ces longues raies annonçaient le littérateur, l’écrivain, l’homme qui travaille. A présent, j’ai l’air d’un riche fainéant ; on ne sait qui je suis.

Sous son abri, je ne redoutais ni la maladresse d’un valet, ni la mienne, ni les éclats du feu, ni la chute de l’eau. J’étais le maître absolu de ma vieille robe de chambre ; je suis devenu l’esclave de la nouvelle.

Le dragon qui surveillait la toison d’or ne fut pas plus inquiet que moi. Le souci m’enveloppe.

Le vieillard passionné qui s’est livré, pieds et poings liés, aux caprices, à la merci d’une jeune folle, dit depuis le matin jusqu’au soir : Où est ma bonne, ma vieille gouvernante ? Quel démon m’obsédait le jour que je la chassai pour celle-ci ! Puis il pleure, il soupire.

Je ne pleure pas, je ne soupire pas ; mais à chaque instant je dis : Maudit soit celui qui inventa l’art de donner du prix à l’étoffe commune en la teignant en écarlate! Maudit soit le précieux vêtement que je révère ! Où est mon ancien, mon humble, mon commode lambeau de calemande ?

Mes amis, gardez vos vieux amis. Mes amis, craignez l’atteinte de la richesse. Que mon exemple vous instruise. La pauvreté a ses franchises ; l’opulence à sa gêne.

O Diogène ! si tu voyais ton disciple sous le fastueux manteau d’Aristippe, comme tu rirais ! O Aristippe, ce manteau fastueux fut payé par bien des bassesses. Quelle comparaison de ta vie molle, rampante, efféminée, et de la vie libre et ferme du cynique déguenillé ! J’ai quitté le tonneau où je régnais, pour servir sous un tyran.

Ce n’est pas tout, mon ami. Ecoutez les ravages du luxe, les suites d’un luxe conséquent.

Ma vieille robe de chambre était une avec les autres guenilles qui m’environnaient. Une chaise de paille, une table de bois, une tapisserie de Bergame, une planche de sapin qui soutenait quelques livres, quelques estampes enfumées, sans bordure, clouées par les angles sur cette tapisserie ; entre ces estampes trois ou quatre plâtres suspendus formaient avec ma vieille robe de chambre l’indigence la plus harmonieuse.

Tout est désaccordé. Plus d’ensemble, plus d’unité, plus de beauté.

Une nouvelle gouvernante stérile qui succède dans un presbytère, la femme qui entre dans la maison d’un veuf, le ministre qui remplace un ministre disgracié, le prélat moliniste qui s’empare du diocèse d’un prélat janséniste, ne causent pas plus de trouble que l’écarlate intruse en a causé chez moi.

Je puis supporter sans dégoût la vue d’une paysanne. Ce morceau de toile grossière qui couvre sa tête ; cette chevelure qui tombe éparse sur ses joues ; ces haillons troués qui la vêtissent [sic] à demi ; ce mauvais cotillon court qui ne va qu’à la moitié de ses jambes ; ces pieds nus et couverts de fange ne peuvent me blesser : c’est l’image d’un état que je respecte ; c’est l’ensemble des disgrâces d’une condition nécessaire et malheureuse que je plains. Mais mon coeur se soulève; et, malgré l’atmosphère parfumée qui la suit, j’éloigne mes pas, je détourne mes regards de cette courtisane dont la coiffure à points d’Angleterre, et les manchettes déchirées, les bas de soie sales et la chaussure usée, me montrent la misère du jour associée à l’opulence de la veille.

Tel eût été mon domicile, si l’impérieuse écarlate n’eût tout mis à son unisson. »


Denis Diderot – Regrets sur ma vieille robe de chambre ou Avis à ceux qui ont plus de goût que de fortune, 1768

The Chap, la révolution par le Tweed

Outre manche, il se passe des choses formidables. Non contents d’avoir un héritage considérable en matière de vêtement et de développer quelques unes des jeunes marques les plus intéressantes ces dernières années, les anglais ont également cette capacité de tourner en dérision leur élégance. Le premier témoignage de cet état d’esprit un peu farfelu autour du vêtement, on s’y intéressait en traitant du Tweed Run il y a quelques temps: une course en vélo dans les rues de Londres, tout de Tweed vêtu. Il m’a été donné de rencontré le second au détour d’une friperie londonienne bien connue, lorsque j’apercevais des magazines à l’air vieillot posés sur une table. Les deux numéros de « The Chap » ont tout de suite capté mon attention: esthétique de revues des années 50, des looks incroyables sur les couvertures, des sommaires où l’on retrouve des mots comme « Cognac », « Land Rovers », « Steampunks », ou encore « Vintage Watches ». Le cocktail s’annonçait explosif.

De retour en France, c’est en découvrant le site de la petite publication que j’envisageai la partie immergée de l’iceberg. Plus qu’une simple parution presse toujours en activité, « The Chap » se veut véhiculer un véritable mode de vie et donner les instructions pour devenir un gentleman moderne à l’anglaise.

Faisant de leurs convictions stylistiques un véritable code de l’élégance véritable, les « Chap » croient en une révolution de la société par le Tweed et les bonnes manières que doit adopter celui qui en porte. Toujours appliqué avec dérision par les membres de ce cercle restreint, le manifeste des « Chap » résume parfaitement l’idéologie que prône cette communauté. Les commandements chap font l’objet d’une traduction sûrement approximative dans les lignes qui suivent, mais vous en saisirez au moins l’idée:

« 1. THOU SHALT ALWAYS WEAR TWEED. No other fabric says so defiantly: I am a man of panache, savoir-faire and devil-may-care, and I will not be served Continental lager beer under any circumstances.

1. Tu devras toujours porter du Tweed. Il n’y a pas d’autre tissu qui dise avec autant de fougue: « je suis un homme de panache, insouciant, sachant se tenir et l’on ne me servira de Continental lager beer sous aucun prétexte ».

2 THOU SHALT NEVER NOT SMOKE. Health and Safety « executives » and jobsworth medical practitioners keep trying to convince us that smoking is bad for the lungs/heart/skin/eyebrows, but we all know that smoking a bent apple billiard full of rich Cavendish tobacco raises one’s general sense of well-being to levels unimaginable by the aforementioned spoilsports.

2. Tu devras fumer constamment. Les cadres de « Healt and Safety » et autres praticiens médicaux continuent d’essayer de nous convaincre que fumer est mauvais pour les poumons/la peau/les sourcils, mais on sait tous que fumer une pipe remplie d’un bon tabac Cavendish élève le sens général du bien être à des niveaux inimaginables par les rabat-jois pré-mentionnés.

3 THOU SHALT ALWAYS BE COURTEOUS TO THE LADIES. A gentleman is never truly seated on an omnibus or railway carriage: he is merely keeping the seat warm for when a lady might need it. Those who take offence at being offered a seat are not really Ladies.

Tu devras toujours être courtois avec les femmes. Un gentleman n’est jamais vraiment assis dans un bus ou un train: il est toujours en train de garder la place à bonne température quand une femme pourrait en avoir besoin. Les femmes qui s’offusquent lorsqu’on leur offre un siège n’en sont pas vraiment.

4 THOU SHALT NEVER, EVER, WEAR PANTALOONS DE NIMES. When you have progressed beyond fondling girls in the back seats of cinemas, you can stop wearing jeans. Wear fabrics appropriate to your age, and, who knows, you might even get a quick fumble in your box at the opera.

Tu ne devras jamais, jamais, porter des « Pantalons de Nîmes ». Quand tu as passé l’étape de t’amuser avec les filles dans les sièges du fond au cinéma, tu peux arrêter de porter des jeans. Porte des tissus approprié pour ton âge et qui sait, peut être même que tu recommenceras dans ta loge à l’opéra.

5 THOU SHALT ALWAYS DOFF ONE’S HAT. Alright, so you own a couple of trilbies. Good for you – but it’s hardly going to change the world. Once you start actually lifting them off your head when greeting, departing or simply saluting passers-by, then the revolution will really begin.

Tu devras toujours te enlever ton chapeau. D’accord, tu possèdes quelques couvre-chefs. Nous sommes heureux pour toi mais ce n’est pas ça qui va changer le monde. Une fois que tu commenceras à le soulever de ta tête pour dire bonjour, au revoir, ou simplement pour saluer les passants, alors la révolution aura commencé.

6 THOU SHALT NEVER FASTEN THE LOWEST BUTTON ON THY WESKIT. Look, we don’t make the rules, we simply try to keep them going. This one dates back to Edward VII, sufficient reason in itself to observe it.

Tu ne devras jamais attacher le bouton le plus bas de ton gilet. Regarde, on ne fait pas les règles, on essaye simplement de les faire perdurer. Celle ci date d’ Edouard VII, c’est une raison suffisante pour la respecter.

7 THOU SHALT ALWAYS SPEAK PROPERLY. It’s quite simple really. Instead of saying « Yo, wassup? », say « How do you do? »

Tu devras toujours parler correctement. Il s’agit de quelque chose d’assez simple. À la place de dire « Yo mec, bien? », dis « Comment vas tu ? »

8 THOU SHALT NEVER WEAR PLIMSOLLS WHEN NOT DOING SPORT. Nor even when doing sport. Which you shouldn’t be doing anyway. Except cricket.

Tu ne porteras jamais de basket si tu n’es pas en train de faire du sport. Même pas si tu fais du sport. Ce que tu ne devrais pas faire d’ailleurs. Sauf du cricket.

9 THOU SHALT ALWAYS WORSHIP AT THE TROUSER PRESS. At the end of each day, your trousers should be placed in one of Mr. Corby’s magical contraptions, and by the next morning your creases will be so sharp that they will start a riot on the high street.

Tu devras toujours rendre hommage au presse pantalon. À la fin de chaque jour, tes pantalons devrons être rangés dans un des engins magiques de Monsieur Corby et le matin suivant tes plis seront si droit qu’ils déclencheront des émeutes sur les grands boulevards.

10 THOU SHALT ALWAYS CULTIVATE INTERESTING FACIAL HAIR. By interesting we mean moustaches, not beards.

Tu devras toujours cultiver les aspects intéressants de la pilosité faciale. Par intéressants nous voulons bien sûr parler des moustaches, pas des barbes. »

Ainsi encore une fois, quand il s’agit de s’habiller et de pousser leurs délires un peu loin, les anglais font preuve d’un savoir faire plus que certain.

Ayant vu le jour en 2000 « The Chap » soufflera bientôt sa onzième bougie. La période a d’ailleurs été choisi par l’éditeur Broché et les deux fondateurs du magazine, Gustav Temble et Vic Darkwood, pour éditer « Le manifeste Chap : Savoir-vivre Révolutionnaire pour Gentleman moderne » un recueil de leur savoir en français. Le livre est déjà disponible chez le plus grand libraire du monde et ornera forcément très bien votre bibliothèque. Ceux d’entre vous qui voudraient se pencher sur la version originale, sachez que le style si particuliers des auteurs n’est pas forcément très accessible mais ne manque pas d’un trait d’humour assez plaisant.

James Ellroy, Un tueur sur la route

« En 1965, les adolescents des classes moyennes de L.A prisaient trois styles vestimentaires: le surfeur, le loubard et le minet de collège. Les surfeurs, qu’ils fussent réellement surfeurs ou non, portaient des Levis en velours blanc, des tennis Jack Purcell « Beau Sourire » et des Pendleton; les loubards, membres d’un gang ou modèle « pseudo-rebelle », portaient pantalons de treillis fendus dans le bas, chemises de marque et casquettes de gardien honoraire de ferme-prison. Le minet de collège avait une préférence pour le style mocassins, chandail, col à pointes boutonnées, toujours en vogue. Je me dis que trois tenues de chaque style suffiraient pour me donner une coloration protectrice. »

James Ellroy, Un tueur sur la route – 1986