The Men's Dress Reform Party

Participants à un concours organisé par le MDRP, 1937 (source)

Tout observateur avisé de la mode masculine aura remarqué que les changements et évolutions s’y font de manière bien moins rapide et fréquente que pour la mode féminine, et que ceux-ci se résument souvent à des détails discrets. Selon John Carl Flügel, psychologue à University College of London au début du 20ème siècle, en parallèle de la révolution industrielle apparut ce qu’il nomma « le grand renoncement masculin » et qui suivit les hommes jusqu’à son époque (et la notre). Selon lui, les hommes « firent de leur tenues le plus austère et le plus ascétique des arts » : ils « abandonnèrent leur revendication à pouvoir être considérés beaux » et « du coup ne visèrent plus que l’utilité ». Si aujourd’hui nous jouissons d’une certaine liberté pour exprimer notre fantaisie vestimentaire, il en était tout autre à l’époque de Flügel : les hommes portaient encore et toujours leurs tenues sombres issues de la révolution industrielle.

Le début du 20ème siècle a vu le vêtement féminin évoluer radicalement : quasi-abandon du corset, premières robes lavables, les épaules et les mollets se montrent pour la première fois, les cheveux se portent courts et on pense enfin à son confort. Mais du côté des hommes l’apparition du sportswear n’atteignit que peu l’hégémonie du costume trois pièce en laine lourde. Une étude pesa les vêtements que portaient dans la rue les habitants de New York en juin 1929 : le poids moyen des tenues féminines était de 1,13 kg, tandis que celui des hommes approchait les 3,8 kg. Le vestiaire masculin eut tout de même à cette époque quelques changements positifs : abandon des sous-vêtement longs (non, je ne veux pas entendre parler des long-johns techniques de chez Uniqlo), remplacement des chemises et cols amidonnés par des versions souples, des chaussures hautes par des basses, et disparition progressive des chapeaux.

Ce n’était cependant pas suffisant pour le docteur Alfred Charles Jordan, un radiologiste anglais reconnu de l’époque, qui avait surtout la curieuse habitude de porter des shorts pour se rendre au travail, vêtement qui était à l’époque réservé aux scouts. Le radiologiste était membre d’une organisation prônant de nombreuses réformes de la société pour une meilleure santé générale : La New Health Society mettait en avant le rôle de l’exercice, de l’air frais, d’une bonne alimentation et de meilleures conditions de travail et d’habitation sur la santé. C’est donc dans cet environnement teinté d’eugénisme qu’il forma en 1929, accompagné de plusieurs intellectuels reformateurs britanniques (dont le pré-cité John Carl Flügel), le Men’s Dress Reform Party (le partie pour la réforme du costume masculin), qui s’évertua à changer radicalement la garde robe masculine de l’époque. Un véritable défi en somme.

L’organisation souhaitait avant tout faire bénéficier les hommes et leur santé du progrès : « le vêtement masculin a sombré dans une routine de laideur et d’insalubrité de laquelle il devrait être sauvé… Le vêtement masculin est laid, inconfortable, sale (parce que non lavable), insalubre (parce que lourd, serré et non ventilé). ». L’organisation recommandait une plus grande originalité dans le vêtement masculin, expliquant que celui-ci devrait relevé d’un style individuel plutôt que de l’uniformité contemporaine. Furent ainsi mis en avant les shorts et culottes, les chemises au col ouvert ou même les blouses, les matières plus légères et colorées telles que la soie artificielle ou la popeline. Les vestes étaient considérées comme superflues, on leur préférait des pulls en maille et surtout la cravate, qui empêchait le cou de profiter de l’air frais, était sévèrement combattue. Les chapeaux furent bannis, et les chaussures, ces « cercueils en cuir » devaient être remplacées autant que possible par des sandales. Un sacré effort d’imagination est aujourd’hui nécéssaire pour concevoir des gens parés de la sorte au milieu de la foule londonienne grisâtre de l’époque.

Le premier appel du partie fut fait à partir de Bedford Square en 1929 (le square même où ont aujourd’hui lieu les Chap Olympiads) et fut globalement relayé par l’ensemble de la presse nationale. L’organisation eu beaucoup de succès lors des premières années, si bien que fleurirent au total plus de 200 associations locales du Men’s Dress Reform Party partout au Royaume-Uni. L’organisation mis en place des soirées qui connurent un franc succès, afin « de donner à chaque homme la chance de paraître et de se sentir sous son meilleur jour, grâce aux vêtements qu’il fera évoluer pour cette occasion unique ». La soirée annuelle de 1930 reçut plus de 1000 participant, dont H.G. Wells, le fameux écrivain de La Guerre Des Mondes. Il fut ainsi possible de trouver, dans les commerces britanniques des années 30, des habits de réforme suivant les préconisations du MDRP. Ce fut par exemple le cas du fameux magasin de Regent Street Austin Reed. Le MDRP comptait aussi un magasin officiel et un service de vente par correspondance, qui connu un certain succès.

Souffrant d’une mauvaise image de la part de la presse professionnelle et des tailleurs en général, l’intérêt pour l’organisation s’essouffla et elle disparut finalement au début de la seconde guerre mondiale. Le MDRP nous laisse aujourd’hui une trace intéressante de l’époque, et des photos assez surprenantes de gentlemen aux tenues retro-futuristes, dont certaines que l’on pourrait très bien imaginer portées aujourd’hui (Thom Browne n’est pas loin).

L’histoire de l’organisation est détaillée par l’historienne de la mode Barbara Burman dans un chapitre de l’excellent ouvrage The Men’s Fashion Reader, consultable ici.

Uniformes des employés du service télégraphique conçues par le secrétaire du Men’s Dress Reform Party, le docteur Jordan, en 1937 (source)


Membres du MDRP en vêtement de réforme (source)

Flight jackets en peau retournée (1/2) – Irvin Jacket


 

RAF Irvin jacket câblée


Nombre de pièces militaires ont marqué à jamais l’habillement civil. Nous avions notamment traité des F1 et F2 de l’armée française, des fields jackets ainsi que des vestes de pont américaines, cette fois-ci, intéressons-nous aux blousons de pilotes en peau retournée de la Royal Air Force (ou RAF, l’armée de l’air britannique). Ces blousons conçus à l’aube de la seconde guerre mondiale et portés tout au long de celle-ci par les pilotes britanniques, furent ensuite très populaire chez les jeunes civils souhaitant imiter le style désinvolte des héros nationaux. La deuxième partie de cet article sera publiée sous peu et traitera des équivalents de l’US Armed Air Forces (USAAF), notamment de la fameuse B-3.

L’origine des flight jackets est très liée à celle de l’aviation. En effet, les cabines des premiers avions n’étaient pas isolées et il y faisait rapidement très froid, jusqu’à -50° C. Les pilotes risquant des accidents mortels en cas d’engourdissement, il fut nécessaire de développer des vêtements chauds et adaptés aux mouvements dans un cockpit.

La Irvin jacket a fut donc créée par un des pionniers de l’aviation, qui inventa d’ailleurs aussi le parachute et effectua le premier saut en chute libre d’un avion. Leslie Irvin, qui donna son nom au blouson, fut rapidement à la tête d’une industrie, fabriquant des parachutes pour les pilotes du monde entier, il ouvrit notamment une usine en Angleterre à Letchworth en 1926. Au début des années 30, l’usine anglaise de Irvin répondit à un appel d’offre du Air Ministry britannique, qui cherchait à l’époque un équipement permettant d’améliorer les conditions des pilotes nationaux, évoluant à des altitudes toujours plus élevées et glaciales. C’est alors que fut proposée, puis sélectionnée, la Irvin jacket, accompagnée d’un pantalon lui aussi en peau de mouton.

La Irvin jacket est constituée de peau de mouton retournée ou shearling. Matière première lourde, disponible en abondance, elle permettait surtout une très bonne isolation garantissant aux pilotes de ne pas avoir froid. La veste possède des manches longues terminées par un zip, afin de porter des gants sans perdre de la chaleur. Le col se relève et peut être serré afin de garder le cou ainsi que le bas du visage au chaud. Une sangle à l’avant au niveau de la taille permet de garantir que la chaleur reste en place. Petite anecdote : Une partie de l’équipement de la RAF, notamment les gants, possédaient un système de chauffage électrique intégré. C’est ainsi que l’on peut apercevoir sur certaines Irvin des câbles électriques parcourant le dessus de la veste.

La veste fut ensuite portée fièrement par la RAF durant toute la seconde guerre mondiale et notamment durant bataille d’Angleterre, causant une demande accrue de la production. Cette production ne pouvant être assurée uniquement par l’usine d’Irvin, elle fut sous-traitée, ce qui fit que l’on peut noter des petites différences entre plusieurs Irvin jackets vintage. De plus, les conditions difficiles lors de la guerre impactèrent la disponibilité des matières premières. C’est ainsi que les vestes datant de la fin de la guerre possèdent de plus nombreuses pièces de cuirs que celles fabriqués au début ou avant, certaines ayant l’air d’un véritable patchwork.


Irvin jacket à capuche – On note que la veste est constituée de nombreuses pièces de cuirs, ce qui laisse croire que sa fabrication date de la fin de la seconde guerre mondiale

 

Le personnel au sol aussi eut aussi droit à sa Irvin jacket, par contre celle-ci fut adapté à son utilisation et se vit ajoutée une capuche, peinte en jaune afin d’être mieux visible. Celles-ci furent portées par les membres de la RAF Coastal Command, bras maritime de la RAF ainsi que par ceux du Fleet Air Arm de la Royal Navy.

Pour finir, voici quelques photos de pilotes de l’époque portant la Irvin :