Boardwalk Empire – Saison 3

Costars, cigares et whisky… où est ce que je signe ?

Hop messieurs, c’est parti pour une troisième saison de Boardwalk Empire ! si vous êtes friands de série télévisées, de prohibition et de beaux vêtements vous savez ce qu’il vous reste à faire.

American Psycho vs Wall Street


Wall Street – Gordon Gekko (Michael Douglas) et Bud Fox (Charlie Sheen)


Les costumes au cinéma sont et seront toujours une fantastique source d’inspiration. Après avoir analysé les costumes dans les films de Wes Anderson, il ne sera plus ici question de marionnettes de renards mais du redoutable monde de la finance à travers deux films : Wall Street d’Oliver Stone, sorti en salles en 1987 et American Psycho, sorti lui en 2000, mais adapté du best-seller de Bret Easton Ellis datant de 1991. Alors que ces derniers temps les blazers et costumes sont ré-apparus dans la rue, et pas uniquement dans les quartiers d’affaire, rien de mieux que de regarder ce qui se faisait lors de la dernière époque où les costumes furent sur le devant de la scène : les années 80. Baptisée par certains les « années fric », cette époque fut celle de la découverte du monde de la finance, des yuppies et des golden boys, via des scandales à répétition et une bonne dose de films et d’ouvrages plus ou moins fictionnels sur le sujet, ce qui n’est pas sans rappeler ce qu’il se passe aujourd’hui.

Encore une fois, le but premier des costumes est de soutenir l’histoire et la vision du réalisateur. Ainsi dans Wall Street, Bud Fox est un jeune courtier cherchant coûte que coûte à devenir un « player ». Sa garde robe va témoigner de son évolution en véritable requin sans scrupules. Paré au début de simples chemises button-down et d’une montre Lorus à quartz, il a plutôt un look d’étudiant fraîchement débarqué que celui d’un investisseur sans pitié. C’est petit à petit, après sa rencontre avec Gordon Gekko, que le style de Bud se précise. Lors de leur seconde rencontre, Gordon va jusqu’à lui conseiller de s’habiller mieux, et d’aller voir Morty Sills, à l’époque un tailleur renommé de New York et fréquenté notamment par les PDG qui trainaient dans le quartier. Sa garde robe s’affine et on note l’apparition de vestes croisées (bien plus longues que celles que l’on peut voir partout aujourd’hui), de cols clubs et de cols contrastés.


Wall Street – Un col boutonné mal rempli par un noeud de cravate trop fin – Bud a encore tout à apprendre…


Wall Street – Col contrasté, cran de revers aigu, noeud adapté à son encolure – C’est quand même mieux !


Wall Street – Veste croisée 4 boutons et col club contrasté


Quant à Gordon Gekko, venant d’un milieu modeste et ayant atteint des sommets, on peut dire que c’est un parvenu et cela s’exprime très bien dans sa garde robe où le mot d’ordre n’est pas la finesse. Si on n’est pas sûr de comprendre lorsque Ellen Mirojnick, la costumière, le décrit comme « un mix de Clarke Gable et du Duke de Windsor », on est plus d’accord lorsqu’elle explique que la tenue de Gordon est à propos de « pouvoir, d’argent et de séduction », en somme complètement adaptée à vendre du rêve à un Bud Fox en mal de reconnaissance. Un peu à la manière d’un Gatsby ou d’un Nucky Thompson dans Boardwalk Empire, son style est difficile à ignorer et va souvent loin dans les couleurs et les excentricités. Excentricités que l’on doit pour certaines à Alan Flusser. Le fameux tailleur/auteur new-yorkais (et aussi auteur de certaines des bibles de l’habillement – je pense notamment à « Dressing the Man ») fut en charge des costumes de Gordon Gekko, ce qui lui valut un succès considérable auprès des hommes d’affaires de l’époque.

On notera notamment une pièce assez culte de la garde robe de Gordon Gekko : la chemise à rayures horizontales. Elle est toute une révolution à elle seule et un vendeur de Turnbull & Asser me confiait il y a peu qu’elle poussa à l’époque beaucoup de gentlemen à venir demander la même chez leur chemisier favoris. Gordon est aussi le meilleur ambassadeur de la chemise aux poignets et au col blanc contrastant avec le reste de la chemise, que certains appelent chemise « financier », car très populaire dans les quartiers d’affaire à cette époque. Celle-ci est d’ailleurs aussi très présente dans American Psycho

Petite parenthèse historique, à l’ère des cols amovibles, des cols blancs étaient portés de cette manière lorsque le propriétaire n’avait pas de col pour parfaitement aller avec le motif ou la couleur de la chemise. Ensuite, lorsque les cols amovibles furent remplacés par des cols cousus, les tailleurs remplaçaient les cols et poignets usés par de nouveaux coupés dans du tissu blanc, car il est souvent difficile de trouver un tissu qui aille parfaitement avec le reste de la chemise, souvent délavé par le temps et l’usage.


Wall Street – Col contrasté


Wall Street – La fameuse chemise à rayures horizontales – on note que les rayures des manches sont elles verticales, le pattern matching (correspondance des rayures entre les différentes pièces de tissu de la chemise) prend alors une toute autre dimension !


Wall Street – Triple combo : Col club contrasté et épinglé


Wall Street – Ici on note les poignets du costume, ceux-ci marquent bien le manque de discrétion du personnage


American Psycho – Le col contrasté est aussi très présent dans American Psycho, ici sur Patrick Bateman (Christian Bale)


C’est un tout autre angle qui est abordé dans American Psycho, où les costumes toujours très soignés des protagonistes renforcent une idée de standardisation de l’apparence des milieux matérialistes yuppies. En effet, même si on note une préférence de certains personnages secondaires pour les tab collar, tout le monde se ressemble. Comme l’explique Isis Mussenden, la costumière : « Ce film est inhabituel parce qu’il tourne beaucoup autour du fait que les personnages ont du mal à se reconnaître. Le challenge a été de faire en sorte que les acteurs se ressemblent, mais en même temps aient un style bien individuel. ». Pour elle, les costumes doivent aussi raconter l’histoire : « Quand Bateman se sent puissant, il porte une cravate rouge et une chemise à grosses rayures. Mais dans les moments plus faibles il apparaît dans des costumes plus clairs et avec une cravate jaune qui le met moins bien en valeur ».


American Psycho – A l’époque, les bretelles étaient de rigueur


American Psycho – Une chaise Hill House , des chaises Barcelone et du Robert Longo au mur – Les années 80 sont aussi l’époque où l’on commence à faire des rééditions de meubles modernes classiques


American Psycho


American Psycho


La coiffure aussi est importante. Gordon Gekko et Patrick Bateman sont tous les deux représentés comme des personnages peu scrupuleux aux cheveux peignés en arrière. C’est une grande tradition des films hollywoodien que de représenter les méchants de cette manière. Si bien que le journal satirique américain The Onion imagina avec humour une association dénommée la National Organization of Men with Slicked-Back Hair (Association nationale des homme avec les cheveux peignés en arrière) organisant des manifestations pour lutter contre cette pratique nuisant à leur image !

Ce qui est encore plus intéressant losqu’on étudie les costumes ce sont ces petits détails qui donnent de la crédibilité aux films. Des petites manies de personnages secondaires ou principaux qui permettent de donner de la profondeur à ceux-ci, pour peu que les spectateurs les remarquent. C’est par exemple le cas du collègue courtier de Bud Fox dans Wall Street, qui porte toujours sa montre à l’envers, à l’instar d’Alain Delon dans Le Samouraï. Intéressant aussi de noter ce personnage secondaire de American Psycho qui, surement pour adoucir les proportions de son visage et de son cou, semble posséder une belle collection de chemise à tab collar. On remarque aussi à plusieurs reprise dans American Psycho les initiales de Patrick Bateman sur ses poignets de chemises, toujours au même endroit. Et enfin, pour revenir à Wall Street, les autres collègues de Bud Fox ne sont pas en reste : Celui qui perd son emploi porte une cravate avec des têtes de chien (cela renforce un peu le côté victime du personnage), et son patron, toujours de bon conseil, incarne la sobriété vestimentaire même.


American Psycho – Ce personnage porte très souvent des chemises à tab collar


American Psycho – Une brillante illustration de la manière dont un tab collar remonte la cravate et donne du volume à une mise


American Psycho – On aperçoit ici les initiales de Patrick Bateman sur son poignet gauche


American Psycho – Les initiales, toujours au même endroit


Wall Street – Ce personnage secondaire porte toujours sa montre de cette manière


Wall Street – Cravate avec des têtes de chien


Wall Street – Le patron de Bud, toujours très sobre


Cette époque est aussi celle du power dressing, les tenues plus sportswear et relachées des années 70 furent abandonnées au profit d’une garde-robe bien plus conservative, prenant ses racines dans les années 30 et 50. Les épaulettes se développèrent et donnèrent à leur porteur une silhouette en « V », typique de l’époque, que l’on préssentait déjà dans « American Gigolo », où Armani se donna à coeur d’exploiter ce style si particulier. Isis Mussenden explique qu’à l’époque, « tout était plus gros que maintenant – des épaules avec beaucoup de padding, des grosses lunettes, des grosses boucles d’oreilles et colliers. Les vêtements utilisaient de bien plus grandes quantités de tissu. En règle générale, quand les temps sont affluents, les vêtements sont plus volumineux. »


Wall Street – Les trench-coats se portaient bien plus grands et larges à l’époque


Wall Street – Nous sommes bien dans les années 80


American Psycho – Grosses lunettes Oliver Peoples – on en avait déjà parlé ici


Ceci dit il ne faut pas chercher une représentation des costumes fidèle à la réalité. Oliver Stone, qui se souciait du réalisme des costumes ira même voir Ellen Mirojnick, la costume designer de Wall Street, alarmé parce que les costumes n’avaient rien à voir avec ceux qui étaient portés dans les salles de marchés. Selon une interview à Esquire, celle-ci lui répondit « C’est un film, et on va élever le genre. On ne va pas faire ceci complètement enraciné dans le réel, un film c’est pour raconter des histoires ». Pareil, American Psycho est sorti en 2000 et propose donc une interpretation contemporaine des tenues des années 80, à l’instar de La Grande Évasion qui donne un twist années 60 aux uniformes de la seconde guerre mondiale. De plus le but premier de ces costumes est de porter le récit et non de scrupuleusement reproduire le passé. La relation entre les costumes de cinéma et la mode est très intéressante. Si le premier s’inspire du second pour fonctionner, on ne compte plus les références que fait la mode aux films. Ainsi Wall Street et American Psycho sont devenus des sources d’inspiration évidentes pour de nombreux designer, tel Umit Benan et sa collection « Investment Banker ».


Amercian Psycho


Wall Street et American Psycho (par ailleurs tous deux disponibles en DVD) sont sortis en réaction à la folie libérale des marchés des années 80, prenant son point culminant lors des nombreux délits d’initiés puis du crack de 1987. Si Wall Street pose la question du bénéfice de l’avidité (le fameux « Greed is good »), American Psycho met en valeur le matérialisme vain des yuppies. Cependant, le charisme (et les costumes) de Gordon Gekko et de Patrick Bateman fit de ces personnages de véritables modèles, et ceux-ci poussèrent même des gens à faire carrière dans la finance…

Boardwalk Empire, côté vestiaire

L’engouement pour Mad Men en France, ça a quelque chose de vraiment étrange. On a d’abord l’impression que la presse française a découvert la série cet été, alors que la première saison a tout de même commencé en 2007. Ensuite les critiques vont quasiment toutes dans la même  direction alors que l’intrigue perd vraiment de la vitesse, et que si ça reste amusant à regarder, c’est sûrement grâce à l’esthétique de l’époque, aux femmes, et surtout aux costumes de chez Brooks Brothers mis en scène. Du coup Mad Men, même si Don Draper est un champion du style, on regardait un peu par défaut. En effet, dès que l’on recherche une série avec de beaux costumes, une ambiance travaillée, une intrigue captivante et une esthétique générale impeccable, l’offre tend à être très réduite.  Heureusement il y a quelque semaines, la relève est arrivée et on se rend compte que dès que les gros bonnets du cinéma commencent à s’en mêler, le monde de la série commence à passer aux choses sérieuses.

Évidement, pour ce qui est des costumes, il est sûrement très difficile de rater quelque chose dès que l’on s’intéresse à la Prohibition et aux années folles tellement l’époque est riche au niveau du textile: la série produite par Martin Scoresese et Mark Wahlberg, ça commençait bien, on savait déjà que rien n’allait être laissé au hasard.

Dans Boardwalk Empire, les personnages sont très travaillés et chacun d’entre eux voit ses traits de caractères, ses origines sociales et géographiques retranscrit dans les plis de ses vêtements. Les matériaux utilisés pour fabriquer les pièces nécessaires sont ceux que l’on trouvait à l’époque et John Dunn, le costumier, ne voulait pas utiliser des pièces issues de friperies. L’équipe aurait dû les restaurer et elles risquaient de paraître suspectes à l’écran. Il a donc fait appel Martin Greenfield, une sommité du monde des maîtres tailleurs, qui après avoir travaillé pour Brooks Brothers dans sa jeunesse, habillait entre autres Paul Newman et Bill Clinton. Ce grand monsieur du costume ne se contente d’ailleurs pas de ses gloires passées et entretient également des liens étroits avec Rag&Bone et Band of Outsiders. On peut avoir un aperçu de son atelier sur  The Selby, et c’est assez plaisant à regarder.

Pour commencer notre rapide tour d’horizon, nous allons commencer par le personnage principal. Interprété par Steve Buscemi, une des cartes des frères Coen (entre autres), Enoch « Nucky » Thompson est une sorte d’homme d’affaire qui est arrivé au sommet à la sueur de son front, en utilisant la force et la corruption, et il entend bien conserver les privilèges qu’il a réussi à obtenir. Comme la plupart des détenteurs de fortunes nouvellement acquises, il aime à faire remarquer son succès et sa réussite par des tenues tape à l’oeil, chatoyantes et luxueuses. On se rappelle surtout de Steve Buscemi dans des rôles de ratés ou de personnages secondaires, ici sous les feux de la rampe, on peut imaginer que ces costumes colorés compensent avec l’impression de faiblesse à laquelle renvoie son physique.  D’ailleurs vous aurez le plaisir de remarquer au fil des épisodes que ses costumes sont très souvent colorés et ornés d’accessoires qui rappellent son identité à ses interlocuteurs.

De stature tout à fait différente, on peut s’intéresser à Arnold Rothstein, ponte de l’alcool à New York, interprété par Michael Stuhlbar, encore piqué aux frères Coen. Ses costumes impeccables, assez sobres, rehaussés de quelques accessoires bien sentis en font l’un des personnages les plus élégants de Boardwalk Empire. Calme, éduqué, posé, violent, il a beaucoup de classe et sait manipuler les codes vestimentaires des classes sociales élevés pour ne pas en faire trop et passer pour un parvenu. Précisement ce qu’il peut manquer à notre ami Nucky.

Michael Shannon aka Nelson Van Alden, l’agent du « Federal bureau of internal revenue » n’est qu’austérité. Fanatique religieux, il prend son travail très à coeur et son costume, sans fioriture, ne lui sert qu’à travailler efficacement.

Le cas de Jimy Darmody est assez amusant, habillé au début de pièces tout à fait quelconques, on aura l’occasion de constater son ascension au sein du syndicat du crime italien lors de sa prise de mesure pour son complet bleu marine. À partir du moment où il aura revêti le vêtement, une véritable transformation s’opère et il deviendra l’un des personnages clés de la série. Interprété par Michaël Pitt, le rôle relancera sans aucun doute la carrière du jeune acteur.

Chalky White est un peu l’équivalent de Nucky Thompson au niveau de son style vestimentaire. Sûrement un des seuls noirs américain à avoir sa place dans les affaires à cette époque, il est très fier, et veut prouver son statut grâce à ses vêtements. On avait déjà croisé l’acteur dans The Wire où il jouait le rôle très réussi de Omar Little, un braqueur  semant la pagaille dans Baltimore. Sa garde robe ressemble beaucoup à celle de Nucky.

Bref, si vous cherchez un moyen de passer le dimanche froid qui nous attend au coin du feu, et de passer un bon moment, n’hésitez pas à vous pencher sur Boardwalk Empire. La série nous fait revivre le sentiment qu’on a pu éprouver en regardant Les Affranchis, Le Parrain II ou Il était une fois en Amérique et nous permet de nous délecter d’une esthétique poussée très agréable.